Ces dernières années, la psychanalyse est devenue un objet pour la caméra. Peut-on filmer la psychanalyse ? Comment rendre compte de cette expérience si singulière? On connaissait bien le documentaire sur la « grande histoire » de la psychanalyse, dont certains se sont faits les hérauts, et on peut également se souvenir des époques lointaines où Serge Leclaire poussa l’exercice télévisuel assez loin.
Aujourd’hui la psychanalyse se plie à la forme du documentaire. Ainsi, à la fin 2009, Gérard Miller a réalisé pour France télévision, la Première séance. Plus récemment Daniel Friedmann a réalisé un coffret aux Editions Montparnasse, intitulé Etre psy. On peut se demander pourquoi de telles productions arrivent maintenant. Est-ce parce la psychanalyse cherche à reconquérir un public en désaffection ? S’agit-il de démontrer, par le témoignage, son efficacité ? Il est vrai que la démarche ne manque pas de pédagogie et de didactique. Mais on peut s’interroger à plusieurs titres.
Que penser d’une démonstration qui exhibe, telle une icône, la femme d’un président (Miller) ? De même, malgré la bonne volonté de Friedmann et sa démarche moins populiste, on peut s’interroger. Tout d’abord dans le choix du titre : « être psy ». Car « d’être », il n’y est nullement question, seulement de certaines grandes figures psy un peu vieillissantes… Nulle vie n’est présente… de telle sorte que d’aucuns rebaptiseront volontiers ce coffret « Tombeau pour la psychanalyse » (cela dure tout de même 33 heures !).
On ne s’étonnera pas que dans ces productions monotones et très parisiennes, le rapport de la psychanalyse au pouvoir n’est jamais questionné (on peut noter au passage la parution prochaine d’un livre d’un jeune anthropologue, Samuel Lézé, qui déconstruit le pouvoir des psychanalystes aujourd’hui. Samuel Lézé, l’Autorité des psychanalystes, Paris, PUF, 2010). Difficile, dans ces cas, de défendre l’hypothèse de l’inconscient et du désir.
Une autre tentative de filmer la psychanalyse, chronologiquement antérieure, et malheureusement moins aperçue, mériterait l’attention tant elle évite les écueils des précédentes. C’est celle de Pierre Carles dans son film Enfin pris. Proche de Bourdieu, Carles n’échoue pas pour autant dans un réductionnisme sociologique. C’est qu’il s’agit de sa propre analyse… qu’il filme ! Son documentaire expérimental retrace son parcours. Critiquant un de ses anciens collègues journaliste qui a réussi sa carrière, il se rend compte qu’il s’acharne contre lui. Réalisant sa bévue et ce qu’il y a de douteux dans son affaire, il se rend chez son psychanalyste pour lui en parler. Allongé sur le divan, sa caméra sur le ventre, Carles confie sa colère. Le psychanalyste (Jean-Paul Abribat), écoute, « pipe au bec », et délivre des interprétations pleines de malice, pendant que son chat aux longs poils roux vient se frotter à ses jambes. Un moment jubilatoire, atypique, loin des rengaines nostalgiques, et des enjeux de pouvoir psy. Rafraîchissant.
Pierre Marshall
Filmer la psychanalyse ? / 2010
Publié dans Chimères n°72, Clinique et politique
http://www.dailymotion.com/video/x1c3mm
Etre psy / Jerôme Blumberg, Daniel Friedmann, DVD, coffret 14 CD, Paris, Editions Montparnasse, 2009.
la Première séance / Gérard Miller, diffusé le 7 novembre sur France 3, Paris, 2009.
Enfin pris ? / Pierre Carles, C-P productions, Paris, 2002.
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