Archive mensuelle de avril 2012

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Cartographier l’inconscient / Manola Antonioli / Chimères n°76 : Ecosophie / Feelings are Facts / Olafur Eliasson

On connaît l’importance que les cartes et les cartographies en tout genre, probablement sous l’influence initiale de  Fernand Deligny et de ses « lignes d’erre », ont dans la pensée de Deleuze et Guattari, et dont le rôle essentiel est exposé de façon programmatique dans l’ouverture de Mille plateaux sur le rhizome, où les deux auteurs nous invitent à « faire la carte et pas le calque ».
Mon hypothèse dans les pages qui suivent sera que la nouvelle version de l’analyse que Deleuze et Guattari proposent sous le nom très énigmatique de « schizoanalyse » peut être interprétée aussi comme une activité de cartographie de l’inconscient, hypothèse que j’essaierai d’étayer par une relecture de L’Inconscient machinique, publié par Félix Guattari en 1979.
Le texte s’ouvre sur une question qui est toujours d’actualité  (« L’inconscient a-t-il encore quelque chose à nous dire ? ») et avec une attaque en règle contre toute vision « herméneutique » qui viserait au déchiffrement des messages de l’inconscient, qu’ils soient écrits dans une langue mystérieuse et intraduisible ou dans la prétendue transparence des « mathèmes » lacaniens. Contre les psychanalystes structuralistes, freudiens, jungiens ou reichiens, Guattari propose sa propre version, schizoanalytique, d’un inconscient bricoleur et bricolé, « quelque chose qui traînerait un peu partout autour de nous, aussi bien dans les gestes, les objets quotidiens, qu’à la télé, dans l’air du temps, et même, et peut-être surtout, dans les grands problèmes de l’heure (1)». Il s’agit donc d’un inconscient « machinique », mais aussi toujours déterritorialisé, puisqu’il ne se situe pas exclusivement « à l’intérieur » des individus, mais également dans l’extériorité de leur rapport au corps, aux territoires (existentiels ou spatialisés), à l’école, au lieu de travail, etc.
C’est aussi l’orientation temporelle de l’inconscient machinique qui change radicalement pour Guattari. Celui-ci n’est pas tourné vers les cristallisations du passé, mais orienté résolument vers l’avenir :
« Penser le temps à rebrousse poil ; imaginer que ce qui est venu “après” puisse modifier ce qui était “avant” ; ou bien qu’un changement, au cœur du passé, puisse transformer un état de chose actuel : quelle folie ! Un retour à la pensée magique ! De la science-fiction ! Et pourtant…(2)»
Un tel inconscient ne peut donc  être conçu selon un modèle herméneutique d’interprétation de ses messages, ni par un modèle archéologique qui essaierait d’avoir accès à ses strates et à ses stratifications enfouis dans le passé (ou il s’agirait alors d’une « archéologie » au sens foucaldien, donc une archéologie des énoncés, d’emblée extériorisée, spatialisée), ni par un modèle généalogique ou narratif, mais selon une sémiotique axée sur « l’agencement collectif d’énonciation »  toujours biface ou multiface, qui associe indissolublement la forme et le contenu, les états subjectifs, les énoncés et les états de faits, selon la pragmatique du langage et du sens que Deleuze et Guattari étaient en train d’élaborer en même temps dans Mille plateaux, dans le « plateau » intitulé « Deux régimes des signes ». Les connexions s’établissent par une déterritorialisation réciproque des choses de la nature et des choses du langage et les agencements qu’elles créent sont toujours concrets, datés, situés, jamais modélisables, surplombants, éternels ou purement formels.
C’est pourquoi un tel inconscient ne pourra jamais être interprété, mais devra être cartographié : la schizo-analyse sera  une forme de cartographie. Dans l’étendue hétérogène d’un « inconscient machinique » il s’agira à chaque fois d’identifier les régions figée dans le passé, immobilisées dans les stratifications et les ségmentations, sclérosées et nécrosées et au contraire de retrouver et situer les « cristaux de possible » processuels. Deux postulats essentiels orientent cette approche de l’inconscient : 1. Il revient à l’agencement le plus déterritorialisé de résoudre les impasses et de dénouer les stratifications ; 2. « la déterritorialisation, sous toutes ses formes, “précède” l’existence des strates et des territoires (3)».
Une telle révision de la théorie de l’inconscient sera ainsi orientée en direction de la constitution d’une « pragmatique schizo-analytique », qui ne pourra jamais faire abstraction des problèmes politiques et micro-politiques, pragmatique dont le « non modèle » sera le rhizome, défini selon les caractéristiques désormais bien connues. Au contraire de toute structure et de tout modèle arborescent, les rhizomes peuvent connecter un point quelconque à un autre point quelconque ; le rhizome ne renvoie pas nécessairement à un trait linguistique, mais s’inscrit dans une sémiotique qui associe à chaque étape des éléments hétérogènes (biologiques, politiques, économiques).  Dans l’introduction à L’Inconscient machinique, Guattari choisit ainsi explicitement de maintenir et de souligner la distinction entre une sémiologie « comme discipline trans-linguistique, qui examine les systèmes de signes en rapport avec les lois du langage (perspective de Roland Barthes) » et une sémiotique (« comme discipline qui se propose d’étudier les systèmes de signe selon une méthode qui ne dépend pas de la linguistique (perspective de Charles Sanders Peirce »).
Dans cette perspective, la cartographie de l’inconscient s’inscrit toujours dans une sémiotique complexe, qui ne peut jamais se réduire à l’interprétation du langage ou à la dimension du signifiant. Si l’on essaie de comprendre cette entreprise cartographique par analogie avec les cartes produites par les géographes, il s’agirait ici de tracer une carte ou une superposition complexe de cartes qui ferait abstraction de toute différence préalable entre « géographie physique » et « géographie humaine » (ce qui relève de dynamiques « internes » au sujet et ce qui relève de dynamiques « externes », ce qui se situe dans un domaine « purement » linguistique et ce qui s’ancre dans une sémiotique généralisée et une pragmatique extralinguistique), qui essaierait de montrer en même temps les reliefs et les cours d’eau et les répartitions administrative et territoriales, les ressources naturelles et les ressources économiques, les frontières naturelles et les frontières politiques, la composition ethnique et religieuse de ses habitants et leur densité, etc. Il s’agirait d’une entreprise un peu folle pour tout géographe, comme elle l’est certainement pour tout analyste, une activité  qui ne peut plus être le résultat d’un face à face entre l’analyste et l’analysant mais une dynamique nécessairement collective.
Une telle pragmatique du rhizome abandonne également toute idée de « structure profonde » : l’inconscient machinique est un inconscient étendu, qu’il faut construire, parcourir et analyser à la manière d’une carte, une carte « démontable, connectable, renversable, susceptible de recevoir constamment des modifications ».
Dans les mouvements simultanés de territorialisation et de déterritorialisation qui parcourent l’inconscient ainsi défini, rien n’est jamais irrévocablement figé : un rhizome pourra donner lieu à une structure arborescente mais, à l’inverse, « la branche d’un arbre pourra se mettre à bourgeonner sous forme de rhizome. »
Dans la philosophie contemporaine, on retrouve une tentative comparable de « spatialiser » l’inconscient dans le premier volume de la « critique de la raison spatiale » que Peter Sloterdijk développe dans sa trilogie des  Sphères et plus particulièrement dans le premier volume (Bulles (4)), à la fondamentale différence près que Sloterdijk (radicalement, profondément et durablement influencé par la pensée de Heidegger) privilégie les thèmes du « sejour », de la sédentarité et de l’inscription dans un territoire à l’approche déterritorialisée et déterritorialisante qui est celle de Guattari. Les différents volumes de la trilogie de Sloterdijk proposent une exploration des espaces qui se décline sous la forme d’une psychologie (Bulles), d’une politologie (Globes et Le Palais de cristal) et d’une technologie (Écumes). L’exploration de l’ « espace intérieur » développée dans Bulles aboutit à une vision de l’espace espace humain comme étant doté toujours d’une structure « pliée, limitée et participative (5) », qui consiste dans l’imbrication de plusieurs espaces intérieurs, où personne ne peut jamais occuper une position purement fantasmatique d’intériorité imprenable ou d’extériorité souveraine.
Ce qu’on appelle, faute de mieux, l’ « intime » n’est donc plus concevable selon le modèle archéologique d’une psychologie des profondeurs, mais selon le modèle proprement architectural d’une série d’espaces intérieurs « partagés, consubjectifs et inter-intelligents auxquels prennent seulement part des groupes dyadiques ou pluripolaires (6)» qui excluent toute monade fermée sur elle-même. L’ « intime » ne peut donc exister que par des incorporations, des imbrications, des implications, des résonances et des rythmes communs, ou (en termes psychanalytiques) par des identifications successives, ce pourquoi l’inconscient n’est accessible ni par une technique de déchiffrement, ni par la découverte d’un sens latent : il n’est pas « produit », mais plutôt « construit », il ne peut pas être « interprété », mais plutôt « cartographié ».
Ce n’est donc pas un hasard si les deux auteurs sont fascinés (chacun à leur manière) par toutes les formes de création d’espaces et de territoires : territoires existentiels, mais aussi  formes de production esthétique et culturelle de territoires et formes de production de territoires habitables dans le cadre de l’architecture.
Les points de convergence entre la perspective spatiale ouverte par Sloterdijk et celle explorée  par Guattari pourraient se retrouver (malgré des références théoriques et philosophiques différentes, et sur certains points incompatibles) notamment dans l’intérêt pour une production d’espaces et de territoires « pré-architecturale » (des sphères ou des cloches protectrices chez Sloterdijk, qui se tranforment progressivement en écumes, des ritournelles ou des territoires existentiels chez Deleuze et Guattari) qui laissent toujours subsister des ouvertures et des connexions virtuellement infinies vers l’extérieures, des écumes ou des rhizomes qui visent à créer un équilibre complexe entre le plus intime et le plus extérieur, le dedans et le dehors, l’individuel et le collectif, le naturel et le technique ou culturel, l’organique et le politique.
Dans la structure rhizomatique de L’Inconscient machinique, on peut établir une connexion transversale entre l’introduction et la partie six, intitulée « Repères pour une schizo-analyse », où Guattari commence par affirmer que « l’inconscient est constitué de propositions machiniques que les propositions  sémiologiques et logico-scientifique ne peuvent jamais saisir de façon exhaustive (7)» , puisque « les concepts doivent se plier aux réalités et non l’inverse (8)», et dont plusieurs pages  sont ensuite consacrées aux calques et aux arbres, aux cartes et aux  rhizomes.
Avant toute production d’énoncé et tout passage par le langage, la schizo-analyse présuppose (encore une fois) une activité de géographe, de cartographe ou encore d’arpenteur, qui consiste à créer (pour chaque cas et chaque situation, donc sans aucun recours à un modèle interprétatif universellement et « méthodiquement » valable) une carte de l’inconscient, qui comprendra à chaque fois des strates figées, des lignes de déterritorialisation, des trous noirs. Cette carte doit permettre une ouverture sur des perspectives d’expérimentation pour l’ « agencement analytique » ou l’ « analyseur », qui pourra être un thérapeute isolé, mais aussi un groupe ou une institution, étant donné que l’ « analyseur » n’est pas seulement un individu ou une totalisation d’individus, mais qu’il implique dans l’analyse nécessairement d’autres flux « non humains » (économiques, politiques, matériels, techniques, etc.), ce en quoi elle se différencie d’un simple « décalcage » des triangulations oedipiennes.
La praxis schizo-analytique est définie cette fois comme une « praxis transformationnelle » : tous les processus inconscients, aussi bloqués soient-ils, peuvent ainsi trouver des voies d’issue dans des conjonctions d’élements sémiotiques disparates. Par ailleurs, « la consistance machinique n’est pas totalisante, mais déterritorialisante (9)»  : un rhizome, par définition, n’est pas formalisable et donc ne pourra relever d’aucune topique psychanalytique et d’aucun modèle structuralisé. Dans cette expérimentation en prise sur le réel, les cartes fonctionnent comme des laboratoires. Opposée à l’idée de la structure, la carte peut s’ouvrir dans de multiples dimensions, elle peut être déchirée, elle peut s’adapter à toute sorte de montage ; il s’agirait de « cartes pragmatiques » susceptibles d’être produites par un individu isolé ou par un groupe, dessinées dans un simple but d’orientation ou conçues comme une œuvre d’art, comme une action politique ou comme une méditation.
Ces « cartes de compétence » s’inscrivent à chaque fois dans un contexte singulier et ne présupposent jamais de compétence plus large : une carte adéquate pour définir un certain type de territoire pourra ne pas fonctionner dans un autre ; une carte conçue pour être un simple outil d’orientation ne fonctionnera pas comme une oeuvre d’art, et vice-versa. La compétence pragmatique d’une cartographie par rapport à une autre dépend du fait qu’elle met  en oeuvre ou pas une segmentarité plus moléculaire, plus déterritorialisée, plus machinique. Les cartes peuvent produire l’esquisse d’un possible non réalisable dans le contexte existant, mais aussi produire de véritables mutations machiniques : « il n’existe pas de cartographie universelle (10)» Au sein de n’importe quelle situation, on peut construire une micropolitique cartographique ou diagrammatique qui refuse toute fatalité divine, économique, structurelle, héréditaire, toute conception de l’inconscient comme destin et comme structure. Guattari donne ainsi un rhizome-carte de l’encerclement phobique du « Petit Hans » chez Freud (11). Tout d’abord, on y retrouve des entités hétérogènes : des lieux (la maison familiale, le lit des parents, la rue), des devenirs (celui du corps sexué, du devenir coupable, mais aussi un « cumul de déterritorialisation » du devenir imperceptible vers le devenir coupable, vers le devenir corps sexué, vers le devenir corps social et enfin vers le devenir animal, des traits de visageité (celui de la mère, celui du Professeur Freud et de la « visageité de transfert ») , et des connexions qui vont et viennent d’un élément à un autre.
Mais les cartes-rhizomes ne sont pas seulement des outils d’une analyse d’un inconscient individuel, puisque la schizo-analyse est aussi un outil pour des praxis politiques, pour des révolutions moléculaires : à la carte-rhizome du petit Hans succède ainsi (12) une carte-rhizome « de la coupure léniniste et de l’engendrement du stalinisme ». Les agencements pragmatiques sont machiniques et ne dépendent jamais de lois universelles, ils sont sujets à des mutations historiques d’abord imprévisible et ensuite susceptibles de se reproduire (le « complexe romantique », le « complexe du front populaire », la « complexe de la Résistance ») sans qu’on puisse leur donner le caractère d’universalité que la psychanalyse prête ou a prêté au complexe d’Œdipe.
Tout équilibre segmenté, stratifié et molaire du pouvoir peut être à tout moment bouleversé par le surgissement d’une situation révolutionnaire, qui bouleverse les cartes préexistantes, en montrant qu’un nouvel agencement était en train de ronger souterrainement un équilibre antérieur qui semblait immuable, figé et éternel (le cas du « printemps arabe », quelles qu’en soient les évolutions, en est un exemple récent). Le seul fait de commencer à tracer et à construire activement des cartes pourra amorcer des effets de mutation et de déterritorialisation : écrire ses rêves plutôt que d’écouter passivement leur interprétation, les dessiner, les mimer, pourra transformer la carte de l’inconscient.
La cartographie schizo-analytique est ainsi une pratique risquée, qui requiert une grande prudence et n’a rien à faire avec des interprétations sauvages. Il s’agirait de faire à tout moment des choix micropolitiques qui engagent l’ « analyseur » et sa responsabilité dans les processus qu’il accompagne : il devra opter pour accélérer ou ralentir une mutation interne d’agencement, pour faciliter ou freiner la constitution d’un agencement collectif, explorer et expérimenter avec un inconscient en acte et en devenir, plutôt que de décalquer indéfiniment des complexes ou des interprétations préexistantes. Une cartographie, donc, qui n’exclut jamais les compromis, les retours en arrière, les avancées, les révolutions, qui n’aspire pas à contrôler et surcoder les processus inconscients mais seulement à les assister et les accompagner.
Manola Antonioli
Cartographier l’inconscient / 2012
Extrait du texte publié dans Chimères n°76 : Ecosophie
Présentation du numéro en présence des auteurs jeudi 5 avril à 18h
Galerie Dufay-Bonnet, 63 rue Daguerre, Paris 14ème

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Olafur Eliasson / Feelings are Facts
A voir également : Movement microscope
1 Félix Guattari, L’Inconscient machinique, Paris, Éditions Recherches, 1979, p. 7-8.
2 Ibid., p. 8.
3 Ibid., p. 13.
4 Peter Sloterdijk, Bulles, Sphères I, traduit de l’allemand par Olivier Mannoni, Paris, Pauvert, 2002. Les citations qui suivent sont tirées de l’édition en format de poche, Pluriel, 2003.
5 Ibid., p. 98.
6 Ibid., p. 109.
7 Félix Guattari, L’Inconscient machinique, op. cit., p. 155.
8 Ibid., p. 155.
9 Ibid., p. 177.
10 Ibid., p. 180.
11 Ibid., p. 181.
12 Ibid., p. 183.

l’Anarchie esthétique / Christiane Vollaire

Les dimensions contemporaines de l’art revendiquent explicitement un certain nombre de principes issus des théories anarchistes. L’art, y compris lorsqu’il n’est pas « engagé », prétend dénoncer, ou ironiser sur des formes de l’ordre culturel (la censure, les modalités antérieures de l’activité artistique et les académismes) ou économico-politique (la marchandisation, les propagandes publicitaires).
Plus encore, depuis la fracture introduite par le mouvement Dada, les pratiques artistiques se sont affirmées comme dénonciation non plus seulement des traditions artistiques antérieures, mais de ce qui constitue l’essence de l’art. Faire œuvre, à la période contemporaine, c’est à bien des égards inscrire dans le domaine de l’esthétique ce qui en était jusque là exclu. Les « Ready-made » de Duchamp en sont l’exemple à la fois originel et archétypal. On assiste donc bien à un renversement des valeurs et des hiérarchies esthétiques ; mais aussi à un recyclage de ce renversement lui-même, devenu, par le jeu de sa médiatisation, un nouvel argument de vente sur le marché de l’art.
Ainsi, les positions de subversion, de transgression, d’émancipation, qui caractérisaient au début du XXème siècle le dadaïsme politico-esthétique issu de la culture anarchiste, sont souvent devenues les positions-standard des nouveaux académismes contemporains, perdant de ce fait même non seulement leur virulence, mais leur véritable sens politique. Et donnant lieu par là à un dévoiement de la revendication anarchiste.

Un principe de désordre aux origines de l’esthétique
Mais, comprendre ce dévoiement, c’est d’abord remonter aux fondements du concept même d’esthétique, et aux ambivalences qui l’ont constitué. L’esthétique est en effet, dès son origine, ce qui par excellence échappe aux formalisations de l’ordre rationnel. Elle relève de la perception, du sentiment de plaisir, des formes de la jouissance ou de celles de la répulsion. En tant que faculté individualisée, elle est inassignable à la norme. En tant que domaine intellectuellement constitué d’une approche du monde et des oeuvres, telle qu’elle existe depuis le XVIIIème, elle s’oppose au domaine de la rationalité scientifique en introduisant, à l’encontre de la valeur cartésienne du distinct, la contre-valeur créatrice du « confus » : est véritablement esthétique, pour Baumgarten qui crée le terme, ce qui surgit de l’association paradoxale de la clarté et de la confusion. Autrement dit, ce qui met au jour le désordre. L’esthétique serait ainsi, dans sa constitution même, anarchiste : elle ferait valoir une puissance d’échappement aux hiérarchies organisatrices du savoir.
L’esthétique du sublime, chez Kant, manifeste ce principe de désordre qui s’oppose à l’ordre du beau, et, suscitant corrélativement dans le sujet les émotions d’attraction et de répulsion, échappe à toute assignation culturelle : le sublime est fondamentalement esthétique, mais sans pouvoir accéder à la représentation artistique. Une tempête est sublime pour autant qu’on en est physiquement préservé : elle n’est donc sublime que par le regard distancié qu’on porte sur sa réalité, non par l’œuvre picturale à laquelle elle peut donner lieu.
Reconnaître l’esthétique comme domaine spécifique de la réflexion, c’est donc non pas admettre la part du rêve, mais au contraire reconnaître une naturalité du réel, à la fois sensitif et environnemental, qui échappe à l’ordre conceptuel. De même, lorsque Max Stirner, en 1844, écrit l’Unique et sa propriété, ouvrage fondateur des théories anarchistes, il ne dénonce pas l’ordre établi au nom d’une utopie, mais au contraire au nom d’une forme de réalisme politique. C’est parce que, selon son expression,
« l’opposition du réel et de l’idéal est indestructible » (1), que le réel, comme « réalité des rapports de force » (2), doit être reconnu à l’encontre des « fantômes » que sont les valeurs morales et politiques établies, considérées en tant qu’ « illusions » dont la seule fonction est de légitimer abstraitement, et donc de rendre acceptables, les réalités les plus concrètes de l’oppression.
Il y a donc un réalisme paradoxal de l’esthétique, comme il y a un réalisme paradoxal de l’anarchie, et, dans les deux cas, la revendication réaliste est polémique : elle désigne les failles d’une rationalité dominante qui trompe et se trompe sur son propre pouvoir. Pour Kant, cela signifie seulement qu’elle doit reconnaître ses limites et se les assigner à elle-même ; mais, pour la filiation à la fois post et anti-hegelienne dont participent les théories anarchistes, cela signifiera une véritable destitution des pouvoirs confondus de la raison dominante et de l’Etat rationnel. C’est à cette destitution qu’appelait déjà, dans la période post-révolutionnaire, le travail de Babeuf, dénonçant les trahisons de la révolution française qui évaluait l’égalité réelle au profit d’un mensonge d’égalité formelle.

L’ordre esthétique et ses injonctions paradoxales
Mais, en même temps qu’il fait contrepoint à la raison, le domaine de l’esthétique s’oppose aussi à celui de la sensation brute et immédiate, il en réorganise la naturalité dans un devenir culturel déterminé par des formalisations intentionnelles, par une activité productive et par des processus de réception élaborés, discursifs et, de ce fait même, normalisés. L’émergence de l’art, liée à celle des pouvoirs religieux en tant que puissances politiques, relie l’esthétique aux régimes de sacralisation qui, Walter Benjamin l’a montré, définissent la valeur même des œuvres.
Et, en définitive, le régime de la représentation ne cesse de fixer des normes, d’élaborer, par la nécessité même du jugement sur les œuvres, un cadrage collectif non seulement du discours que l’on peut tenir sur elles, mais de la manière même de les percevoir.
A la période contemporaine, l’écart entre ces deux dimensions de l’esthétique, la normative et l’anomale, est devenu littéralement abyssal, mettant en évidence le redoutable enchaînement des « double bind » : entre puissance d’échappement et puissance d’intégration, entre valorisation de l’individuel et partage du collectif, entre récusation des formes et principe de formalisation, entre dénonciation de l’ordre et volonté d’organisation. Or l’enchaînement de ces injonctions paradoxales, dans lequel s’enracinent les problématiques contemporaines de l’esthétique, est au cœur même de la problématique politique de l’anarchie. En ce sens, l’esthétique contemporaine pourrait être le laboratoire d’une problèmatisation des positions anarchistes. Mais aussi un observatoire de leurs dévoiements.

Les dévoiements contemporains de la transgression
L’art est ainsi le lieu corrélatif d’un régime de socialisation et d’un régime de transgression. Il est, dans son essence, aussi intégrateur que violemment déstabilisateur. Et c’est toujours au nom de ses volontés d’intégration qu’il dénonce ses propres forces de déstabilisation.
En témoigne, dans le Triple Jeu de l’art contemporain, paru en 1998 aux éditions de Minuit, la manière dont la sociologue Nathalie Heinich présente la dynamique de l’art contemporain à partir d’un triple mouvement : transgression – réaction – intégration. Le geste transgressif de l’artiste suscite la réaction de retrait du public, qui elle-même va donner lieu à l’action d’intégration des médiateurs (critiques et commissaires d’exposition pour la part culturelle, mais aussi marchands et galeristes pour la part économique). Elle montre à partir de là que l’intégration, rendue nécessaire par les impératifs économiques du marché de l’art, finit par fonctionner comme un appel à la transgression : plus les transgressions sont intégrées, plus se fait pressant cet oxymore que constitue l’obligation de transgresser, aboutissant à ce qu’elle appelle une « pathologie » du « corps social de l’art contemporain ».
Est décrit ici, sous la forme d’un affolement, ou d’un emballement de la machine, une véritable anarchie du monde de l’art, au sens élémentaire du terme, puisque la « démission des institutions » signifie la perte du référent de l’ordre et de la hiérarchie, le non-gouvernement, l’absence de direction politique. Anarchie qui se traduit en perte corrélative des normes du jugement de goût, et des critères de la valeur financière. De ce qui fonde, donc, l’ordre esthétique comme intégrateur.
Mais, précisément, cette « anarchie », au sens plat du terme, a pour origine paradoxale le dévoiement de ce qui constitue l’un des fondements de la théorie anarchiste : la transgression. Là où la transgression devient norme, disparaît ce qui fait l’essence du geste transgressif : la puissance de dénonciation qui en constitue la finalité.

La question de l’informe
Un tel dévoiement apparaît avec évidence dans la question de l’informe. Telle qu’elle se présente dans l’esthétique de Bataille, elle est manifestement liée à une théorie de l’anarchie :
« Informe n’est pas seulement un adjectif ayant tel sens, mais un terme servant à déclasser, exigeant préalablement que chaque chose ait sa forme. Ce qu’il désigne n’a ses droits dans aucun sens et se fait écraser partout comme une araignée ou un ver de terre. Il faudrait en effet, pour que les hommes académiques soient contents, que l’univers prenne forme. » (3)
Tiré du numéro 7 de la revue Documents (paru en décembre 1929), il met en évidence ce qu’Yves-Alain Bois appellera la « valeur d’usage de l’informe » (4), autrement dit, moins son sens que sa fonction polémique, et, plus précisément ici, politique. C’est relativement à l’ordre établi des « hommes académiques », que la définition de l’informe apparaît comme une revendication. C’est parce que la forme est une exigence sociale, que l’informe prend le sens d’une dénonciation; c’est parce que l’ « archè », l’ordre hiérarchisé de la forme, est dominant, que la revendication de l’informe occupe la place oppositionnelle d’un refus de la domination.
Mais c’est aussi parce que la forme (« eidos » en grec) renvoie à l’idée, à ce qui rend la matière assignable à un ordre, que l’informe, renvoyant à la matérialité brute des choses, dénonce, relativement à celle-ci, toute position idéaliste. La revendication de l’informe est en ce sens anarchiste parce qu’elle se présente comme une lutte contre les idéologies de la forme, mais aussi parce qu’elle prétend par là ramener du symbolique vers le réel. La formalisation prend alors l’aspect fantômatique que Stirner attribuait aux registres du pouvoir (l’Etat, la loi) pour les opposer à la seule réalité concrète du Moi.
Ce retour du symbolique vers le réel est aussi un retour du discursif vers le matériologique. C’est la fonction que Bataille attribue aux photographies d’Elie Lotar ou à celles de Jacques Boiffard. Ainsi commente-t-il, dans le numéro 6 de Documents, la photo d’orteil prise par Boiffard :
« Un retour à la réalité n’implique aucune acceptation nouvelle, mais cela veut dire qu’on est séduit bassement, sans transposition et jusqu’à en crier, en écarquillant les yeux : les écarquillant ainsi devant un gros orteil » (5)
L’esthétique de l’informe est ainsi doublement tenue, par la dimension corrélative de sa visée politique et de sa dimension fascinatoire, c’est-à-dire par le sens polémique d’un geste transgressif intentionnellement orienté. Comme l’écrit Georges Didi-Huberman dans son essai sur Bataille :
« Ce contre quoi Bataille engageait Documents en tant qu’outil critique n’était donc qu’une certaine notion de l’art, de la forme et de la modernité, une notion – résumons-la – dominée par les pouvoirs séculaires de l’idée. » (6)
A la période contemporaine, Rosalind Krauss désignera, dans une partie de l’œuvre photographique de Cindy Sherman, la tension qui s’établit entre l’informe et l’abjection, en relation avec la sémiotique corporelle du déchet et du dégoût, en opposant ses « Images de la boulimie » (liées à l’abjection du vomi, de la nourriture pourrissante et des excrétions du corps, dans lesquelles le dégoût est lié à la matérialité même de l’objet représenté) à ce qui, y compris dans des sujets plus « viscéralement » acceptables, traduit la tension, qu’on pourrait dire « anesthétique », vers l’informe :
« Que son travail sur l’horizontale n’ait pas besoin d’une figuration littérale de l’informe – dispersions chaotiques, détritus, substances répugnantes – c’est ce que démontre la série de portraits réalisés à partir des maîtres d’autrefois » (7)
L’informe peut naître alors des simples modalités de diffusion de la lumière, sans nécessiter le recours à la littéralité de l’objet. C’est ainsi que, dans les années quatre-vingt, les imitations photographiques de la peinture classique produites par Cindy Sherman distordent en quelque sorte le rendu conventionnel de leur objet pour produire ce sentiment de malaise d’une formalisation dévoyée qui suscite d’autres modalités de l’informe.

L’abjection et ses contempteurs : réel et symbolique
Mais, du rendu viscéral de l’abjection au rendu ironique des dysmorphies, est à l’œuvre une autre dimension de l’anarchie esthétique : celle qui subvertit la valeur d’exposition en faisant œuvre de l’innommable. En faisant acte public de ce qui doit, culturellement, être occulté. C’est le sens des réactions de rejet, manifestement viscérales et fort peu argumentées, aux dimensions contemporaines de l’art. Ainsi, dans De Immundo, pamphlet publié en 2004 aux éditions Galilée, Jean Clair, attaquant aussi indistinctement l’œuvre de David Nebreda que celle de Joseph Beuys ou des Actionnistes viennois, désigne avec dégoût ce qu’il appelle un « retournement du symbolique au réel ».
On n’insistera pas ici sur les dimensions, de fait authentiquement symboliques, des œuvres incriminées (comment ne pas voir du symbole dans les usages que fait Beuys du feutre et de la graisse ?), Ce qui nous intéresse plutôt est ce dont ici la répulsion conservatrice face à l’oeuvre fait symptôme : l’insupportable affrontement à une réalité du corps occultée par l’ordre culurel . Ainsi, ramener les représentations contemporaines du corps à une destitution du symbole, c’est reconnaître de fait dans le devenir contemporain de l’art le cœur même de la théorie anarchiste et sa dénonciation des fonctions oppressives du symbolique : si la tradition esthétique occidentale (et pas seulement elle) s’est en effet fondée sur une valorisation du symbolique, sa destitution anarchiste passe, on l’a vu en particulier chez Stirner, par une revalorisation du réel dans « sa physicalité la plus immédiate et la plus nue ». L’ouvrage de Stirner s’ouvre et s’achève par la même formule :
« Je n’ai fondé ma cause sur rien » (8)
Ce qui signifie clairement : je récuse toute légitimation symbolique, et ne me réclame que de l’effectivité du réel. Ainsi, jusque dans leurs errements frileux et leur nostalgie du sacré, les contempteurs de l’art contemporain ne font qu’exhiber le symptôme de ce qui, dans les dimensions désintégratrices de la revendication esthétique, fait mal, c’est-à-dire touche à l’ordre par le entrailles.

Les puissances de déconstruction
C’est ainsi que la thématique de la décomposition, au cœur de la pensée anarchiste, ne présente pas seulement la mise en exergue entropique du pourrissement, mais aussi le travail architectonique de la déconstruction. Un exemple en fut, en 1973, la fondation aux Etats-Unis du groupe « Anarchitecture » : faisant acte esthétique d’un refus des valeurs collectives, il subvertissait les données architecturales. Le « Train Bridge », train qui occupe la place architecturale d’un pont effondré, en est l’une des œuvres représentatives. Gordon Matta-Clark, membre fondateur du groupe, poursuit un travail du même ordre en 1974 dans son œuvre « Splitting », coupant en deux une maison dans un triple mouvement de rupture de l’intériorité, d’exposition du dedans à l’extérieur et de recomposition des parties prélevées dans le recyclage non fonctionnel de l’exposition muséale ou du collage photographique. Mais ce travail purement artistique a en même temps considérablement influencé les architectes post-modernes de la déconstruction, faisant cette fois œuvre fonctionnelle de ce qui n’était présenté que comme un geste ironique de subversion de la fonction.
De ce déconstructivisme participent aussi, à l’égard du corps lui-même, les tendances de la danse contemporaine, et de la musique : Trisha Brown a travaillé avec Matta-Clark, Merce Cunningham avec John Cage, et l’on voit bien les mêmes principes destituer les valeurs-repères classiques du corps, celles de l’espace habitable et celles de la perception auditive. C’est ainsi d’un authentique bouleversement que témoignent, de l’orée du XXème siècle au début du XXIème, les mouvements, au sens le plus dynamique du terme, qui animent la multiplicité des champs de l’esthétique contemporaine, et l’essor de la video met en évidence avec une acuité accrue ces possibilités de bouleversement.
Si les théories anarchistes n’ont manifestement jamais trouvé d’application d’envergure dans le champ de la réalité politique, le champ de l’art témoigne en revanche, à la période contemporaine plus que jamais, de leur prégnance et de leur diffusion, et en quelque sorte d’une véritable imprégnation culturelle, dont même les trahisons auxquelles elles s’exposent sont un indice.
Mais une telle imprégnation se fait évidemment aussi au prix d’un affadissement idéologique : du jeu ironique avec la forme, qui mettait en tension les dimensions tragiques d’une œuvre comme celle de Claude Cahun, on est passé à la dimension ludique d’un effet paillette tel que l’étalait en 2002 l’exposition « Coolustre » en Avignon. Et le pop’art lui-même, dès ses origines, témoigne de la frange indécise qui sépare une critique engagée du consumérisme, d’une complaisance cyniquement désinvolte.
S’il est donc nécessaire de repérer et de dénoncer, à l’encontre même des conformismes esthétiques, les dévoiements, les trahisons et les récupérations souvent subreptices dont l’ironie anarchiste fait l’objet dans les milieux de l’art, cette récupération elle-même n’en demeure pas moins l’un des signes de sa vitalité. Que les dimensions les plus radicales d’une pensée de la subversion puissent être aussi constamment recyclées et marchandisées, ne nous donne qu’une preuve supplémentaire de leur impact, et fait percevoir les ondes de choc du redoutable séisme intellectuel qu’a provoqué, dans la culture contemporaine, l’irruption de la pensée anarchiste.
Christiane Vollaire
l’Anarchie esthétique / 2005
Publié dans Lignes n°16 : Anarchies / février 2005
site de Christiane Vollaire
l'Anarchie esthétique / Christiane Vollaire dans Anarchies sherman
1 Max Stirner, l’Unique et sa propriété, L’Age d’Homme, Lausanne, 1972, p.393.
2 Idem, p.261
3 Georges Bataille, Œuvres complètes, t.I, Gallimard, 1970, p.217
4 in l’Informe, mode d’emploi, catalogue du Centre Georges Pompidou, 1996
5 Georges Bataille, op.cit., p.204
6 Georges Didi-Huberman, la Ressemblance informe, Macula, 1995, p.15
7 Rosalind Krauss, « Le destin de l’informe », in l’Informe, mode d’emploi, p.229
8 Max Stirner, l’Unique et sa propriété, L’Age d’homme, Lausanne, 1972, p.397

 

Facs of Life / Silvia Maglioni et Graeme Thomson / Labos d’Aubervilliers, 2 avril : Film-Paysage

Les Laboratoires d’Aubervilliers // Illegal_cinema #83
Lundi 2 avril 2012, à 20h :
FILM-PAYSAGE

La séance sera proposée et animée par Francesca Martinez Tagliavia, théoricienne des images et activiste.
Elle proposera une discussion autour des pratiques de construction du commun en s’appuyant sur une sélection de films de Silvia Maglioni et Graeme Thomson

Facs of Life est un film composé de huit plateaux – pour tout autant de concepts-clé dans la philosophie de Deleuze – qui se croisent et se tissent à travers des fragments issus de divers contextes médiatiques et de manière anachronique. Documents d’archive, extraits de fictions, dis-simulations de corps et de visages, rencontres, paysages sonores et visuels qui émergent à travers. L’hybridité du statut de ces images répète sans cesse – comme une vague toujours dans son principe de commencement – l’expérience du cours tenu par Gilles Deleuze à Vincennes entre 1975 et 1976. Mais plus que l’expérience du cours, c’est l’interrogation des multiples devenirs auquels cette expérience micropolitique et rhizomatique, a su donner lieu et voix, y compris les fantômes qui, par lieux, s’y sont greffés, à même les corps de ceux qui étaient là. Les étudiants qui participent aux cours, à l’époque où l’université surgissait du bois de Vincennes, sont en effet aussi, quarante ans après, ces fantômes vivants de la « révolution, à la fois cinématique et politique, qui continue à hanter le désir collectif ».
Et, en effet, par-delà les événements qui font à la fois révolution et révélation politique et imaginaire – jusqu’à la fin des années 1970 en France comme ailleurs – il y a cette production collective du désir : ce devenir commun de la vie dont Vincennes est un laboratoire actif. Lieu de révélation dans son acception plurielle de dispositif-processus de visibilisation du minuscule, du minoritaire, du nomade – en exode de la machine hégémonique de visagéification des vies, c’est-à-dire ces stratégies politiques d’effacement des singularités et de production d’identités identiques. Et c’est cette dimension documentaire, politique et imaginaire qui est narrée dans le tissus de ces plateaux filmiques – le film étant un dispositif de révélation, tout comme les fragments d’enregistrement des cours. Les désirs singuliers s’agencent et deviennent collectifs : un agencement non linéaires de multiples lignes de fuite microhistoriques – devenir-femme, devenir-animal, devenir-bois, devenir-asignifiant comme un agencement collectif d’énonciation. C’est la trame des rencontres entre les réalisateurs Silvia Maglioni et Graeme Thomson, les anciens élèves, les nouvelles singularités, lieux, concepts, possibles. A travers les multiples brèches de ce film ouvert, se monte la construction de pratiques communes dont la critique politique est plus que jamais actuelle.

Films projetés (durée totale 136min)
Facs of Life
Entre Gilles Deleuze et ses élèves, de Silvia Maglioni et Graeme Thomson,
France-Italie-Angleterre, 2009, 116min
Feeding Force
Ciné-tract de Silvia Maglioni et Graeme Thomson, France, 2011, 18min
Trans Euro Express
Tube-tract de Silvia Maglioni et Graeme Thomson, France, 2012, 5min
Entrée libre

Accueil du public dès 19h30, bar et restauration légère.
http://www.leslaboratoires.org/date/illegalcinema-83/illegalcinema
41 rue Lécuyer
93300 Aubervilliers
Tél.: +33 1 53 56 15 90
Métro: Ligne 7 Aubervilliers-Pantin Quatre-Chemins (sortie Avenue de la République, côté des numéros pairs) // Bus: 170, 150, 152, 249
Facs of Life / Silvia Maglioni et Graeme Thomson / Labos d'Aubervilliers, 2 avril : Film-Paysage dans Cinéma deleuze-parnet

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