Archive mensuelle de avril 2012

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Le Dossier 57-C / Marco Candore

« Toute l’écriture est de la cochonnerie. »
Antonin A., schizophrène dangereux à Marseille, Mexico, Ville-Evrard, Rodez, Paris.

Note : les hyperliens des notes continuent le jeu de piste, ce texte est en extension permanente.

C’est en 2009, à Prague, que London Smooth1 rencontre secrètement Vladimir H.2 par l’entremise de Lenka B., bibliothécaire à Paris. Au cours de l’entretien, qui a probablement lieu en fin de matinée au Grand Café Orient de la Maison à la Madone noire3, H. remet à Smooth une enveloppe de papier brun d’un format 13×21 contenant un manuscrit inconnu de 158 pages noté J.-K. / F.-B.4. Sur le document on peut lire, en exergue , écrit à la main (comme l’ensemble du manuscrit) : « Ne cherchez pas ».
Le texte est constitué de strates, « couches » et sédiments, architecturé en parties / séries répétitives. Sa forme se veut poétique et présente tous les traits du cryptogramme et du jeu de piste5.
L’existence d’un auteur unique est douteuse : si le manuscrit, visiblement inachevé, ne semble comporter qu’un seul type d’écriture, celle-ci peut n’être, tout simplement, qu’un travail de copiste. Quant à sa datation, on peut raisonnablement l’estimer autour des années 1910-1930 – et peut-être s’écoulant sur toute cette période -, mais sans plus de précision ; écrit en plusieurs langues (Allemand, Anglais, Yiddish, Araméen, et au moins trois langues ou dialectes inconnus) les problèmes de traduction sont considérables et ne concourent pas à résoudre le problème6.
Le manuscrit répète cent onze fois une série polyglotte, un procédé, voire une procédure, à chaque fois composé(e) de six « couches évanescentes » imperturbablement ponctuées par une « suite potentielle »6 bis.
Plus étrange, le document n’est pas sans présenter de troublantes similitudes avec plusieurs œuvres littéraires antérieures ou postérieures au dit manuscrit. Ainsi, la version théâtrale de l’Augmentation de Georges Perec7, composée de six « personnages » / formes rhétoriques plus une septième, la Rougeole, qui sort du cadre de la rhétorique et fonctionne sur le mode de la contamination, de l’excès proliférant ; dans la « neuvième série », la « sixième couche » et sa « suite potentielle » ne sont pas non plus sans rappeler le début de Bouvard et Pécuchet de Flaubert8, mais un Bouvard et Pécuchet atonal, beckettien9 ; la « quatrième couche » peut aussi bien évoquer Finnegans Wake de Joyce50. Les autres séries fourmillent d’exemples tout aussi troublants, où l’on peut tour à tour « reconnaître » (?) Don Quichotte, le Tristram Shandy de Sterne 10, le Coup de dés de Mallarmé, la « canaille » Abou’l-Qâsim Ibn-’Ali al-Tamîmi d’Abou Moutahhar Al Azdi, dans un ouvrage sulfureux du XIème siècle jamais publié dans le monde arabe, seulement édité en langue française à la fin du XXème siècle51.
Les « auteurs » pré-cités auraient-ils compté parmi les « initiés » d’une invisible confrérie mondiale, trans-historique et cosmopolite ? Ou aurions-nous affaire à une triste vérité de plagiats, de monstrueuses escroqueries littéraires ? Comment expliquer ces télescopages de l’espace et du temps ? Ou bien le texte plongerait-il tout lecteur dans un délire de sur-interprétation, lui tendant un redoutable piège en face-à-face, en jeux de miroirs, renvoyant à l’image de l’iceberg, de l’archéologie et autres cartographies de la psyché ?
En tout état de cause, tout indique une intention à faire de l’Infini une œuvre ; l’ambition d’un document délibérément interminable.
Au cours des mois suivants London Smooth se consacre assidûment à l’étude du manuscrit, sans toutefois parvenir à en décoder le sens profond – ou sa fonction. Canular, squelette d’un Léviathan littéraire, ou trompe-l’œil, masque de toute autre chose ?
C’est à la British Library, en 2010, que Mr. Stoned, archiviste, « recommandé » par H. dans son poème codé le Chemisage de la nubilité ou la planification de Thétis (traduction : Lenka B., bibliothécaire à Paris)11 livre à Smooth un second manuscrit, similaire dans sa forme (111 séries constituées de 6 « couches » et d’une « suite potentielle », écrites dans les mêmes langues), mais plus ancien (XVIIIème siècle) et dont l’ordre des « couches » est inversé. Il est signé de « Julio-Felix Castanedeleza »12, accompagné d’un tableau chiffré13, qui, par bien des aspects, n’est pas sans présenter de troublantes similitudes avec les travaux ultérieurs de Jean-Pierre Brisset, chef de gare, linguiste, spécialiste en grenouilles et origines humaines14.
Les deux documents, mis en regard, forment un gigantesque palindrome15. Décodé (partiellement) à l’aide du tableau chiffré, émerge alors un autre texte dont on peut avec certitude attribuer la paternité à Klaus Maus, anthropologue et ethnologue16, au titre interminable et énigmatique : le Triangle du lieu-non-lieu de la Sagesse : Yaqua, la Communauté inconnue des Douze sons ou la série infinie. Le Territoire nomade ou Mille Padoks, l’ordre du chaos révélé.
Il y est question, semble-t-il (bien que « décodé », le texte demeure largement abscons), de la vie sous toutes ses formes. Des descriptions peu compréhensibles de « visions » mais aussi de pures sensations donnent corps à une approche cosmogonique évoquant la physique quantique et une psyché collective littéralement sur-humaine, inconnue. L’ensemble – si l’on peut dire, car ce « rapport poétique » est ouvert sur l’infini, pouvant se lire dans une multiplicité d’ordres qui rejettent à chaque fois les dés – constitue une « cuisson du hasard », une sorte d’ADN cosmique et textuel en perpétuelle métamorphose.
Au début de l’année 2011, Manola A., philosophe à Paris, sollicite London Smooth à faire part de l’état de ses travaux au colloque « Ecosophie » de Nanterre, non loin des tours Aillaud17.
Mais il ne pourra produire cette communication, car il disparaît dans la nuit du 15 au 16 mars – soit la veille dudit colloque -, au cours de laquelle il aurait été aperçu en grande conversation au sujet des Demoiselles d’Avignon avec une jeune femme blonde18 sur la plateforme arrière d’un autobus de la ligne Z19.
Seules quelques notes éparses, au rapport probable avec cette affaire, sont retrouvées le 1er avril, dissimulées sous la machine à calculer de Blaise Pascal, au musée des Arts et Métiers, par Kadidiatou C., technicienne de surface à Paris.
L’enquête, menée par l’agent de police 57-C, est rapidement classée. La piste officiellement retenue est la « fuite probable à l’étranger pour cause de surendettement ».

FICHE ANNEXE (source : notes de London Smooth – les notes à l’intérieur de la fiche sont de la rédaction). En 1912, Klaus Maus20 découvre involontairement21 une micro-région inexplorée22 de l’Amazonie23. L’événement est rapporté dans son carnet de bord24 en date du 16 novembre 191225. L’anthropologue y désigne alors26 le territoire27 et sa population28 d’un même nom, Gemeinschaft II29 ou G2. L’ethnie de G2 semble n’avoir aucun lien de parenté, même lointain, avec les autres groupes peuplant cette partie septentrionale de la forêt amazonienne30. Les habitants de G2 sont décrits31 comme n’étant de toute évidence pas indiens32 et leur langue ne ressemble à aucune autre connue33. Sa découverte est, dès son retour en Europe, le 28 juin 191434, classée Secret-Défense par le roi Boris IV35 et Klaus Maus disparait mystérieusement le 1er août, à seize heures, au cours d’un déjeuner sur l’herbe36. Ses notes et effets personnels ne seront – partiellement – retrouvés que bien plus tard, en France, chez Jacques L., psychanalyste à Paris, dans un container à double fond dissimulé derrière un célèbre tableau lui-même masqué par un cache dont la réalisation est attribuée à son beau-frère37. Cependant sa découverte n’est pas révélée et le coffre blindé, dont l’ouverture est commandée par un mécanisme complexe et sophistiqué38, est rapidement égaré. Dysfonctionnement bureaucratique de la haute administration, guerre des polices ? Toujours est-il qu’on retrouve sa trace en 2004 au cours d’une retentissante affaire. C’est dans le mécanisme de l’horloge monumentale du Panthéon récemment restaurée39, qu’un nano-theremine40 placé là par une jeune mexicaine perforative et performante, Auxilio L.,41 envoie ses ondes42 en direction de l’église Saint Germain-l’Auxerrois. Les fouilles, menées dans le plus grand secret sous la crypte de l’église, permettent la mise à jour du container43, habilement dissimulé dans l’ossuaire-reliquaire de Marie l’Egyptienne ou Sainte Marie d’Egypte44. Afin d’apaiser les tensions historiques, vives et anciennes, entre la France et la Bordavie, les autorités de la toute jeune Oligamonarchie française45 remettent le coffre à la toute récente République de Bordavie46 dans une valise diplomatique le 23 novembre 200747, signe d’une ère diplomatique nouvelle entre les deux pays48.
Marco Candore
le Dossier 57-C / avril 2012
Publié dans Chimères n°76 / Ecosophie
Le jeu de piste continue, entre autres, sur Mécanoscope.

1 London Smooth (1959 – ?), philologue à Paris, Londres, Bâle, Turin, Mexico. Ouvrages principaux : Introduction critique à l’Echo-Phobie, Pouf, Paris, 2001, et Langues chargées, Bouches inutiles I et II, Paf, Turin, 1998 et 1999, trad. Federico Bolcevita.
2 Vladimir H., poète tchèque, 1905-2009, oeuvre majeure : La Nuit avec moi, 1964, Prague, traduit en langue française par Lenka B., éd. Benef, Paris, 1972.
3 Voir la note de frais, archives personnelles London Smooth.
4 La mention J.-K. / F.-B. n’apparaît qu’une seule fois, en haut du feuillet n° 1 du document. Rien ne permet d’affirmer qu’il s’agit là de l’auteur, ou des auteurs, cette mention pouvant désigner son ou ses propriétaires, le ou les copistes, ou toute autre chose. Les 79 feuillets ne sont pas reliés entre eux mais les pages sont, heureusement, numérotées (il ne manquerait plus que ça, ndlr).
5 voir : http://ledossier57c.blogspot.com/2011/12/57-c-111-9-1.html
6 « Nous avons un problème », notes préparatoires à l’ouvrage inachevé de Smooth, Les Idiomes démarrés, carnet noir n° 7, page 92. Extrait sous forme d’auto-entretien, voir : http://ledossier57c.blogspot.com/2011/12/57-c-ls-lid-cn-7-92.html
6 bis voir : http://ledossier57c.blogspot.com/2011/12/57-c-111-9-666666.html
7 voir  : http://ledossier57c.blogspot.com/2011/12/57-c-2817-1982.html
8 voir : http://ledossier57c.blogspot.com/2011/12/57-c-1872-1931-36.html
9 voir : http://ledossier57c.blogspot.com/2011/12/57-c-1906-1946-1989.html
50 Il y a des sauts dans le texte, d’où cette note n°50.
10 voir : http://ledossier57c.blogspot.com/2011/12/57-c-1760-70.html
51 Voir note 50.
11 http://ledossier57c.blogspot.com/2011/12/57-c-bb-jlb.html
12 Pseudonyme à peine masqué désignant de toute évidence Julio Deleza-Milplata (1725-1795) et Felicio Gastanetari (1730-1792), auteurs d’ouvrages ésotériques dont le célèbre et énigmatique L’Ethique à mots couverts (Bibliothèque nationale de Mexico) ; voir : http://ledossier57c.blogspot.com/2011/12/57-c-17-25-95-30-92.html
13 voir : http://ledossier57c.blogspot.com/2011/12/57-c-ls-1-618-033-989.html
14 http://ledossier57c.blogspot.com/2011/12/57-c-bkkx-jpb.html
15 voir : http://ledossier57c.blogspot.com/2011/12/57-c-ls-0000100120020110111121120220122.html
16 voir : http://ledossier57c.blogspot.com/2011/12/57-c-km.html
17 L’objet d’étude de Smooth étant des plus obscurs, on peut cependant déduire de sa participation attendue à ce colloque qu’il devait bien s’agir, peu ou prou, d’écosophie : voir à ce sujet Yaqua, le Peuple du Moteur halluciné, notes de Smooth, voir : http://ledossier57c.blogspot.com/2011/12/57-c-ls-y-pmh.html
18 Sur ce point les témoignages divergent : voir http://ledossier57c.blogspot.com/2011/12/57-c-zzz-433433433.html
19 Afin de préserver la tranquillité des riverains, la lettre désignant l’autobus a été changée.
20 Voir note 16.
21 Voir note précédente.
22 Par définition, il est impossible d’en dire davantage. Voir à ce sujet les travaux de Stanley Living-Beck, Comment je n’ai pas retrouvé le Peuple manquant, British Library, 1871, trad. tardive, Manola A., très jeune philosophe à Paris, 1972.
23 Voir une carte du monde.
24 Voir le carnet de bord.
25 Cette date correspond sans doute à un anniversaire.
26 C’est-à-dire : à cette date-là.
27 Voir note 22.
28 Voir plus loin.
29 Il s’agit bien sûr des Yaquas.
30 Les croquis et descriptions de Maus ne laissent planer aucun doute ; voir : http://ledossier57c.blogspot.com/2011/12/57-c-km-y.html
31 Voir note précédente.
32 Voir note précédente.
33 Voir note précédente.
34 Une spectaculaire opération de diversion est orchestrée ce jour-là, afin de masquer l’événement essentiel : les révélations que Klaus Maus s’apprêtait à faire.
35 Boris IV, roi de Bordavie, 1863-1883-1953, dit « le Mentaliste » ; voir : http://ledossier57c.blogspot.com/2011/12/57-c-b4rdb.html
36 Amoureux de la nature et échangistes, Klaus Maus et son ami Arnø Nøss pique-niquent régulièrement en compagnie de leur(s) épouse(s). Le jour de sa disparition est réitéré le procédé décrit à la note 34, à moins que ce ne soit cette fois une coïncidence.
37 Bricoleur, et peintre à ses heures.
38 Au point de nécessiter l’intervention de plusieurs spécialistes.
39 Par l’heureux bénévolat d’un groupe de jeunes gens dynamiques et généreux.
v. http://ledossier57c.blogspot.com/2011/12/57-c-uguxlkmp.html
40 Modèle extrêmement réduit, pouvant tenir dans une petite boîte d’allumettes, à condition, bien sûr d’avoir ôté les allumettes.
41 Poétesse d’inspiration réal-viscéraliste ; voir : http://ledossier57c.blogspot.com/2011/12/57-c-alrb-53-03.html.
42 voir : http://ledossier57c.blogspot.com/2011/12/57-c-c1-3741510-16-wm2sr-1-c1-1-1-90510.html
43 Encore une fois avec l’aide de spécialistes.
44 voir : http://ledossier57c.blogspot.com/2011/12/57-c-v-12-29-47.html
45 Aux Délices de Paris, Mille ans de bonheur et de prospérité à partir de l’an 2007, Année du Cochon, Xu Xi Xao, éditions de Pékin.
46 La Bordavie est entrée dans le concert des nations démocratiques le 21 avril 2002 avec la « Révolution des Œillades ».
47 Le même jour a lieu un procès retentissant, manoeuvre de diversion ou coïncidence, voir notes 34, 36, 39, 41, cela commence à faire système et cela fatigue un peu aussi.
voir http://ledossier57c.blogspot.com/2011/12/57-c-c70.html
48 .
49 Pas d’origine à la note 49.
v. http://ledossier57c.blogspot.com/2011/12/57-c-49.html

Récits d’expériences / Nathalie Brevet et Hughes Rochette / Chimères n°76 : Ecosophie

C’est suite à de nombreuses discussions autour de la mobilité et de la voiture que notre premier projet - Le Projet AUD-802 (1) – s’est mis en place. Au début des années 2000, la mobilité apparaît dans les sphères artistiques et constitue parallèlement un thème de prédilection dans la recherche urbaine, deux champs qui marquent nos parcours respectifs et autour desquels s’est structurée notre collaboration. Partant du principe que la voiture n’avait pas toujours existé – et qu’un jour elle disparaîtra pour laisser place à d’autres modes de déplacement – nous avons adopté les anticipations que la science-fiction nous proposait pour l’an 2000. Nous voulions bousculer le regard porté sur l’automobile en la mettant face à cette ouverture des possibles. Cette interrogation prit la forme d’une voiture rouge gonflable fabriquée à l’échelle 1/1. Elle a été réalisée d’après la voiture d’un collectionneur installé en Belgique (2). La plaque d’immatriculation AUD-802 est devenue le titre du projet, et cet objet, l’élément emblématique.
Le Projet AUD-802 s’est étalé sur une période de quatre ans et jette les bases d’une approche artistique qui puise dans la ville des sujets de réflexion et des outils de travail. Plusieurs musées, situés en France ou à l’étranger, ont accueilli ce projet. Chacune des expositions s’accompagnait d’un séjour sur place durant lequel nous appréhendions, sous différents angles, la question de la mobilité.
Ce projet fut lancé à la Maison de la Villette en 2002. La raison était simple : le lancement du projet nécessitait un lieu « futuriste » sans place dédiée à la voiture. Le parc conçu par Bernard Tschumi et la présence de la Bicyclette Ensevelie de Claes Oldenburg offraient un contexte idéal. Les vidéos et les photos réalisées dans le Parc exposaient une première confrontation entre la voiture gonflable, présentée comme un « objet archéologique du futur », et l’environnement dans lequel elle prenait place. Elle apparaissait, tour à tour, aux yeux du visiteur comme un jouet, un leurre ou un monument. Les vidéos ont été exposées à la Maison de la Villette où l’objet gonflable était suspendu dans l’espace d’exposition (3). L’une d’elles montrait le rangement de cette voiture dans son sac, image d’une invitation au voyage : la voiture n’était plus un objet de déplacement mais, dans ce projet, était devenue un objet à déplacer.
Nathalie Brevet & Hughes Rochette
Récits d’expérience / 2012
Extrait du texte publié dans Chimères n°76 : Ecosophie
Voir le site de Nathalie Brevet et Hughes Rochette
http://www.dailymotion.com/video/xe3b1h
1 Ce projet a été réalisé en collaboration avec Joël Audebert.
2 Eric Fabre a soutenu et encouragé ce projet en apportant une aide financière à sa réalisation. Il s’est retiré en Belgique après avoir animé la Galerie de Paris jusque dans les années 90.
3 Cette première exposition a donné lieu à la réalisation d’un site internet. Ce dernier a été conçu comme le point d’ancrage de ce projet itinérant. Une page spécifique a été réalisée à chacune des étapes. Ce site était un lieu de stockage d’information : on pouvait y trouver l’ensemble des éléments ayant nourri le projet (publicités, articles scientifiques, extraits de romans).
Récits d'expériences / Nathalie Brevet et Hughes Rochette / Chimères n°76 : Ecosophie dans Chimères AUD18-NB_HR

La part sombre / G. Mar

Parce qu’il n’y a peut-être pas d’écriture, et pas seulement celle qui travaille le monde-qui-va comme pour te l’envoyer foutre par en bas, sans un certain rapport au cruor qui appartient à l’enfance, cette cruauté du jeu – de l’activité fictionnante – qui fait fi et feu du monde tel qu’il est tel qu’on le veut pour nous, nous céderons ici aux tentations du je dans une minute biographique, gardant en tête que tout cela n’aura peut-être jamais été vécu avant d’avoir été écrit.
Cela se passe donc à cet âge où l’on commence à prendre la mesure du monde, celui qui n’est plus celui de l’enfance justement, dans son inattention systématique à tout ce qui l’entoure, bien à l’écart du principe de réalité, pour plonger dans celui des valeurs en cours portées par le regard des autres – comme on entre en société – forcé tout à coup de jouer un autre jeu que celui auquel on consacrait alors toute notre inconscience. Mais entrons dans les détails, qui sont, comme l’affirme Kerouac, « la vie de l’événement ».
J’ai essuyé, de fait, des condamnations pour des crimes que je n’ai jamais commis, du moins, des crimes qui sur ma propre scène n’en étaient pas et que le jugement, commis par d’autres, ont rendu tels, des crimes soi-disant et tenus pour tels jusqu’à mes yeux finalement. Ces crimes, je ne les voyais pas quand je les aurais commis, on me les a imputés dans un autre temps que celui dans lequel je vivais alors, à mes heures perdues, au point de me retrouver consigné à l’internat (c’était ça ou une seconde exclusion définitive de ce second collège et on a même suggéré pour moi l’idée des Jésuites). Je me trouvai ainsi confiné dans un certain espace réservé, une chambre après incrimination sans inscription sur les registres à comparaître de nouveau. Une sorte d’assassin inconscient, voilà donc ce que j’étais, au sortir de l’enfance, et on me l’apprît en m’imputant mes fautes. J’avais péché (j’étais alors dans un établissement catholique après qu’on m’ait renvoyé du public). Je brûlerais donc mon enfer jusqu’à consomption des cendres dans ma petite chambre privée, elle-même ciselée dans un établissement privé, doublement privé du dehors par emboîtement des espaces à la manière de poupées russes, à ne pouvoir qu’envier les corbeaux dehors, du haut de ma petite fenêtre, bien sombres et lugubres avec leurs nids dans les marronniers du parc pour lesquels ils passaient leur temps à se battre. J’appris tout ce temps à les aimer du regard, dans le silence des yeux, le goût de leurs plumes virtuellement tenu au bout de ma langue pincée entre les dents jusqu’au sang pour contenir mon espèce de rage. J’étais le seul surtout à avoir ma fenêtre. Le mieux loti des damnés de l’établissement au bout du compte. On m’avait, ce qui m’arrangeait n’aimant pas la compagnie des autres à cet âge, refusé le dortoir de peur que je les contamine avec mes discours, car je me défendais par des sortes de discours à n’y être pour rien dans toute cette affaire (je me tenais en-deçà de leurs jugements, prêt à des sortes de bonds dont les bêtes sauvages seules sont capables). J’avais ainsi mon espace tenu à l’écart des autres branleurs pour entretenir mon feu, ma chambre en propre, et on m’arrachait à mon pieux de force à coup de lattes chaque fois que je m’entêtais à ne pas entendre la sonnerie qui faisait trembler l’établissement jusque dans ses fondations – et je ne l’entendais pas en vrai, pour cela aussi on ne me croyait pas et m’accusait de mensonges : je rêvais en fait chaque fois sirènes de pompiers et feu sur toute la ville, un bruit en appelant un autre et d’autres images à sa traîne, bien destructrices et tout (et écrire des romans n’est peut-être que cela). Le monde qu’on me voulait en m’arrachant à mes nuits n’existait pas, ou plus, dans ces instants j’étais à d’autres guerres que celles qu’on mène de jour. Et qu’on ne me fasse pas chier surtout !
G. Mar
La part sombre / 2012
Extrait du texte publié sur D-Fiction
La part sombre / G. Mar dans Anarchies deep-blue

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