Parce qu’il n’y a peut-être pas d’écriture, et pas seulement celle qui travaille le monde-qui-va comme pour te l’envoyer foutre par en bas, sans un certain rapport au cruor qui appartient à l’enfance, cette cruauté du jeu – de l’activité fictionnante – qui fait fi et feu du monde tel qu’il est tel qu’on le veut pour nous, nous céderons ici aux tentations du je dans une minute biographique, gardant en tête que tout cela n’aura peut-être jamais été vécu avant d’avoir été écrit.
Cela se passe donc à cet âge où l’on commence à prendre la mesure du monde, celui qui n’est plus celui de l’enfance justement, dans son inattention systématique à tout ce qui l’entoure, bien à l’écart du principe de réalité, pour plonger dans celui des valeurs en cours portées par le regard des autres – comme on entre en société – forcé tout à coup de jouer un autre jeu que celui auquel on consacrait alors toute notre inconscience. Mais entrons dans les détails, qui sont, comme l’affirme Kerouac, « la vie de l’événement ».
J’ai essuyé, de fait, des condamnations pour des crimes que je n’ai jamais commis, du moins, des crimes qui sur ma propre scène n’en étaient pas et que le jugement, commis par d’autres, ont rendu tels, des crimes soi-disant et tenus pour tels jusqu’à mes yeux finalement. Ces crimes, je ne les voyais pas quand je les aurais commis, on me les a imputés dans un autre temps que celui dans lequel je vivais alors, à mes heures perdues, au point de me retrouver consigné à l’internat (c’était ça ou une seconde exclusion définitive de ce second collège et on a même suggéré pour moi l’idée des Jésuites). Je me trouvai ainsi confiné dans un certain espace réservé, une chambre après incrimination sans inscription sur les registres à comparaître de nouveau. Une sorte d’assassin inconscient, voilà donc ce que j’étais, au sortir de l’enfance, et on me l’apprît en m’imputant mes fautes. J’avais péché (j’étais alors dans un établissement catholique après qu’on m’ait renvoyé du public). Je brûlerais donc mon enfer jusqu’à consomption des cendres dans ma petite chambre privée, elle-même ciselée dans un établissement privé, doublement privé du dehors par emboîtement des espaces à la manière de poupées russes, à ne pouvoir qu’envier les corbeaux dehors, du haut de ma petite fenêtre, bien sombres et lugubres avec leurs nids dans les marronniers du parc pour lesquels ils passaient leur temps à se battre. J’appris tout ce temps à les aimer du regard, dans le silence des yeux, le goût de leurs plumes virtuellement tenu au bout de ma langue pincée entre les dents jusqu’au sang pour contenir mon espèce de rage. J’étais le seul surtout à avoir ma fenêtre. Le mieux loti des damnés de l’établissement au bout du compte. On m’avait, ce qui m’arrangeait n’aimant pas la compagnie des autres à cet âge, refusé le dortoir de peur que je les contamine avec mes discours, car je me défendais par des sortes de discours à n’y être pour rien dans toute cette affaire (je me tenais en-deçà de leurs jugements, prêt à des sortes de bonds dont les bêtes sauvages seules sont capables). J’avais ainsi mon espace tenu à l’écart des autres branleurs pour entretenir mon feu, ma chambre en propre, et on m’arrachait à mon pieux de force à coup de lattes chaque fois que je m’entêtais à ne pas entendre la sonnerie qui faisait trembler l’établissement jusque dans ses fondations – et je ne l’entendais pas en vrai, pour cela aussi on ne me croyait pas et m’accusait de mensonges : je rêvais en fait chaque fois sirènes de pompiers et feu sur toute la ville, un bruit en appelant un autre et d’autres images à sa traîne, bien destructrices et tout (et écrire des romans n’est peut-être que cela). Le monde qu’on me voulait en m’arrachant à mes nuits n’existait pas, ou plus, dans ces instants j’étais à d’autres guerres que celles qu’on mène de jour. Et qu’on ne me fasse pas chier surtout !
G. Mar
La part sombre / 2012
Extrait du texte publié sur D-Fiction
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