Le 1er mars, Nicolas Sarkozy, en visite à Bayonne, a été hué, rien n’a été détruit. Mais au 20 heures de TF1, Philippe Poutou fut sommé de dénoncer ces «violences». Il a refusé et il a eu raison. Car les violences sont ailleurs. Elles sont invisibles, dissimulées, quoique vécues au quotidien par la majorité de la population. Ces violences sociales, ces violences économiques ordinaires qui poussent Ecaterina à s’immoler par le feu dans la mairie de Saint-Denis le 16 février, car elle ne trouve pas de logement décent pour elle et ses enfants.
Qui peut s’indigner de «Bayonne», à grands cris, quand 8 millions de personnes ne se chauffent pas car le gaz ne cesse d’augmenter. Sous l’effet du chômage, de l’austérité salariale, du boom des CDD, de la compression des allocations logement (240 millions d’euros en moins, l’an passé) les expulsions (qui reprennent ce mois-ci !) ont atteint un record en 2009 : 106 938 décisions de justice. Une augmentation de plus d’un tiers en dix ans.
A chaque expulsion, chaque accumulation d’impayés, se jouent en silence des drames inextricables, médiatiquement ignorés. Ces trente dernières années, les sociétés immobilières ont dégagé 340 milliards de surprofits. Où est l’obscénité, l’insupportable ? A Bayonne ? Quand l’Insee recense 2,12 millions de logements vides en 2010 et que les lois de réquisition ne sont pas appliquées ?
La violence, on la trouve sur les chantiers, dans les usines. Chaque jour, deux salariés meurent d’un accident du travail. Personne n’évoque ces victimes d’une guerre économique innommée. Des dommages collatéraux ? Non, des victimes de masse : 651 000 accidents avec arrêt par an, 46 436 incapacités permanentes, 4 500 mutilés.
Sur un chantier, André a eu le bras broyé. René s’est fait amputer de deux doigts par sa machine. A Pôle Emploi, Samira ne tient pas les objectifs assignés, depuis deux mois elle est en dépression.
Depuis 1995, les maladies professionnelles ont doublé : 35 000 par an, 10% des cancers liés au travail, près de 400 suicides. Et encore… en 2002, un rapport jugeait les maladies professionnelles sous-évaluées de 70%. Ce sont des chiffres ? Non, ce sont des vies. Des vies de douleurs, d’angoisses. Des vies où se soigner devient de plus en plus difficile, car il faut payer de notre poche les forfaits et franchises, les dépassements d’honoraires, les médicaments qui ne sont plus remboursés, les cotisations aux mutuelles qui augmentent leurs tarifs chaque année.
Ces quinze dernières années, les patrimoines des 500 premières fortunes professionnelles françaises ont progressé six fois plus vite que la richesse nationale. Mieux, de 2010 à 2011, selon le baromètre Forbes, le nombre de milliardaires français en dollars a augmenté de 16,7%. Et il faudrait maintenant, avec l’austérité, et les agences de notation en père fouettard, aggraver encore la «réduction des dépenses publiques» et comprimer les salaires. Combien de ménages ne peuvent plus boucler leur mois, dès le 15, ne peuvent plus payer le gaz, le loyer, la cantine des enfants, le dentiste ? Où est la violence ?
La violence, c’est celle du chômage, quand, malgré des profits faramineux, les patrons vous jettent comme des Kleenex. La violence, c’est le mépris social pour les jeunes contrôlés au faciès. Le mépris pour les chômeurs d’être culpabilisés s’ils ne trouvent pas de travail et d’être, par ce gouvernement, traités d’assistés. Voilà ce qu’est la violence. Et Nicolas Sarkozy en cinq ans a décuplé cette violence sociale. Alors, oui, qui sème la misère récolte la colère et l’ouvrier qui a répondu «non» savait, lui, la mesure de l’insupportable.
Sandra Demarcq, Willy Pelletier, Alain Krivine
Publié dans Libération le 19 mars 2012
Sandra Demarcq et Alain Krivine sont membres de la direction du NPA
Willy Pelletier est sociologue à l’Université de Picardie.
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