C’est l’histoire d’un plein emploi qui ne reviendra pas et de l’action de son fantôme sur les vies aujourd’hui.
C’est l’histoire d’étranges institutions pour lesquelles ce plein emploi qui n’existe pas vaut à la fois boussole et centre de gravité ; l’histoire d’un Pôle emploi qui désigne les chômeurs comme des « candidats », candidats à quoi ? à l’emploi bien sûr. Et tout ce qui excède ce rôle assigné sera susceptible de sanction, de mépris, d’éviction, de correction, de procès.
C’est l’histoire de la participation obligée à un jeu délétère dont personne ne connait les règles et celle d’un Pôle emploi qui, pour mener ce jeu, inculquer les comportement concurrentiels que chacun devrait reproduire pour décrocher la timballe tant espérée, endosse les rôles nécessaires au déploiement d’un théâtre si quotidien que les tragédies qui s’y jouent passent d’ordinaire inaperçues ; l’histoire d’un juge des comportements des chômeurs qui est aussi l’un des bourreaux de leurs déviances, d’un arbitre des « droits » de ses sujets qui organise dans le même temps l’existence de ses candidats, de l’un des animateurs d’une disponibilité à l’exploitation que l’on voudrait sans bornes et incarnée en chacun (voir d’André Gorz « La personne devient une entreprise » : http://www.cip-idf.org/article.php3?id_article=4199) ; l’histoire d’un Pôle emploi, agent instructeur d’un procès sans fin, toujours recommencé, sauf à disparaître, radié, « découragé » – comme ils le disent de ceux qui ne s’inscrivent ou ne pointent plus faute d’y trouver un quelconque intérêt (plus de la moitié des chômeurs, intermittents compris, sont non indemnisés) – ou employé, c’est-à-dire contrôlé par d’autres instances de la société-entreprise.
C’est l’histoire de ce théâtre où Pôle met en scène des « candidats » et qui, par bien des aspects, emprunte sa grammaire aux sinistres divertissements télévisuels qui font actuellement époque, un pauvre théâtre de la cruauté où s’opposent pour un ou des quarts d’heure de célébrité et en vue de l’obtention d’un gain, des anonymes, sélectionnés et destinés à s’éliminer les uns les autres. Pour qui vient du public appelé à jouer ce jeu, pas question de changer les règles, et, en Pôle, pas même question de prétendre les connaître, voire de les mentionner. Ainsi un chômeur breton qui affirme ne venir à une convocation de Pôle emploi que parce que celle-ci est obligatoire sous peine de radiation pourra être menacé de poursuites judiciaires pour « propos désobligeants » (voir : http://www.cip-idf.org/article.php3?id_article=5880). Ne sommes-nous pas la preuve que le plein emploi n’existe pas tandis que cette valeur se doit d’être aussi universelle qu’elle est abstraite ? Nous sommes accusés et nous sommes coupables car nous sommes une injure, intermittente ou prolongée, à cette vache sacrée dont notre steack devrait pourtant dépendre plus étroitement, l’emploi. Une allocation chômage ? Une retraite ? Un congé maladie ? Autant d’abus. On pourchassera la « fraude sociale » car le social est une fraude et l’économie, La loi.
C’est l’histoire de précaires qui prétendent faire respecter par Pôle emploi ses propres règles en matière d’indemnisation (voir les témoignages produits lors du procès du 22 novembre : http://www.cip-idf.org/article.php3?id_article=5903) et qui se trouvent accusés et l’un d’eux en procès pour « outrage à la société française Pôle emploi » car, selon la plainte d’une de ses directrice, ce RSAste « vient régulièrement à notre agence pour se plaindre de la qualité de notre travail » et aurait qualifié les agents d’ »incompétents, fainéants, bons à rien » (voir : http://www.cip-idf.org/article.php3?id_article=5901).
C’est l’histoire d’un épisode judiciaire qui a à nouveau démontré l’incompétence du Pôle, mais cette fois en matière pénale, ce dont on ne saurait que se réjouir. En effet, l’outrage à personne morale n’existe pas en droit pénal (voir les compte rendus de l’audience du 22 novembre 20011 par la presse : http://www.cip-idf.org/article.php3?id_article=5905) et il a fallu finalement que ce 13 décembre 2011 une chambre correctionnelle prononce la relaxe. Mais avant cela, puisque l’emploi est sacré et que l’institution qui en est chargée l’est également par extension, la justice aura été saisie du sacrilège que constitue sa mise en cause. C’est ainsi que le parquet a voulu imposer sur la base de l’accusation de Pôle emploi un « rappel à la loi » à l’impétrant. Il s’agissait lors d’une convocation au commissariat de lui faire admettre avoir commis un délit d’outrage puis d’inscrire cela à son casier judiciaire et aussi de lui faire rédiger une « lettre d’excuses », sans autre forme de procès. Refuser cette offre fort peu raisonnable a été qualifié d’ »attitude hautaine vis-à-vis des institutions » par un policier de service. Dans la foulée, le parquet a décidé d’un procès. La solidarité des institutions entre elles a prévalu, et patatras… le parquet en a oublié son latin, c’est à dire son code pénal. Et voilà un procureur contraint de suivre à l’audience les arguments de la défense pour admettre que la qualification d’outrage à Pôle emploi était « fragile », sans plus pouvoir requérir quelque peine que ce soit. Excès du pouvoir : Pôle emploi est en charge de gouverner les conduites des chômeurs et des salariés, et la mission est si importante pour l’ordre social que police et parquet sont eux aussi conduits, jusqu’à leur seuil d’incompétence, jusqu’à ce que, par cette relaxe du 13 décembre, Pôle emploi, le parquet et la police soient rappelés à la loi.
C’est l’histoire d’une décision de relaxe du chef d’outrage à Pôle emploi par la 10e chambre correctionnelle. Et si la police et le parquet se sont eux aussi montrés « incompétents », la justice n’est, elle, pas tout à fait « bonne à rien » puisque cette relaxe, de par son motif, n’a pas permis d’aller au fond de la question qui fut posée lors de cette audience comme elle l’est dans les Pôle et ailleurs : est-il possible de critiquer le travail de l’administration sans encourir des poursuites pénales ? Est il loisible pour qui dépend matériellement d’une institution de mettre en cause ses décisions, ses procédures, son dédain pour les administrés, le traitement qui lui est infligé ? Risque-t-on davantage qu’une radiation, un prélèvement d »indu », un emploi contraint, un stage obligatoire et non payé, une minoration de ses droits lorsque l’on a affaire à Pôle emploi et peut-on, si on en conteste les actes, être poursuivi au pénal ?
C’est l’histoire à venir, et qui sera celle de n’importe lequel de ces salarié confrontés au chômage comme nous le sommes tous désormais, de poursuites judiciaires qui seront sans doute mieux bricolées. Il sera alors utile de disposer des éléments de jurisprudence qui n’ont pas été cette fois étudié par le tribunal quant à cette possibilité de critiquer le travail des administrations. Voilà pourquoi nous joignons à ce texte le jugement de la Cour d’Appel de PARIS (26 janvier 1996, 020247), étayée sur l’Arrêt de la Cour de Cassation du 10 août 1899, chambre criminelle : « il faut distinguer la critique de l’action politique et administrative et, d’autre part, l’attaque personnelle contre le représentant de la puissance publique. Dans le 1er cas, les tribunaux devront appliquer la loi du 29 juillet 1881 [sur la liberté de la presse] et, dans l’autre, l’outrage réprimé par le Code Pénal. »
L’histoire continue…