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Archive journalière du 6 déc 2011

Philosophies anarchistes ? / Charlotte Hess, Valentin Schaepelynck et Marcello Vitali-Rosati / Zones d’attraction

1 Peut-on parler de philosophie anarchiste ? Et si oui, en quoi consiste-t-elle ?
En tant qu’anarchistes, nous nous méfions de toute théorie qui prétend à une vérité stable et définitive.
Une théorie anarchiste, si elle se veut une doctrine, faite d’une série de principes et d’affirmations auxquels il faut croire, est une contradiction dans les termes. Une vérité imposée par une doctrine est une vérité autoritaire et l’anarchisme est justement la mise en discussion systématique de toute affirmation de ce genre.
Nous voici donc embarqués dans de bien singuliers paradoxes : en quoi peut donc consister le rapport d’une telle philosophie à la vérité ? Et comment défendre les principes de l’anarchisme sans devenir nous-même autoritaires ?

2 L’anarchisme en effet ne peut pas être une doctrine, dans le sens où il n’est pas une explication du monde ou une recette prête pour le comprendre et l’interpréter. Il n’est pas une simple série d’affirmations sur lesquelles baser son action. Une pensée anarchiste est plutôt un regard critique porté sur toute forme de discours qui se présente à nous comme une vérité. Ainsi, une philosophie anarchiste sait que derrière toute vérité, il y a toujours un pouvoir et une autorité qui peuvent être identifiés et attaqués. Dénicher les dispositifs de pouvoir qui se cachent derrière toute affirmation qui prétend à la vérité signifie que tout principe n’est pas absolu, mais contingent, lié à une situation particulière. Seule l’analyse de cette situation et des conditions dans lesquelles une vérité s’affiche en tant que telle peut nous permettre de penser librement. Et une philosophie anarchiste est avant tout une pensée libre.

3 Cette critique, au sens d’une mise en crise continue de toute vérité ou de toute doctrine instituée, ne doit pas pour autant se cantonner à une simple destruction. Il ne s’agit pas de déconstruire pour déconstruire ou de promouvoir un relativisme selon lequel, puisqu’il n’y a pas de vérité absolue, tout se vaut. En effet, si tout se vaut, à quoi bon se révolter ? Et pourquoi desirerait-on un autrement possible ?
La critique dont nous parlons se nourrit d’un désir d’émancipation, qui lui, ne se négocie pas. D’autre part, elle ne se situe pas seulement dans l’ordre des idées, et elle ne consiste pas seulement à nourrir un « esprit critique », comme disent les journalistes. Ce qui fait sa singularité, c’est de se concevoir comme une action, une pensée en acte porteuse d’alternatives, qui creuse la possibilité d’un autrement possible dans l’angle mort des lois et des institutions.
Loin de tout écueil relativiste ou cynique, il s’agit de comprendre et de vivre que toute cristallisation, que tout institué théorique ou pratique, n’est toujours que provisoire, et ne doit jamais cessé d’être expérimenté, interrogé, testé, transformé, réapproprié En cela, l’anarchisme est une pensée de l’inachèvement, la critique qu’elle porte est toujours à recommencer.

4 A une philosophie anarchiste ou philosophie de l’anarchisme, autrement dit à une philosophie qui viendrait fonder l’anarchisme, nous opposerons une manière anarchiste de faire de la philosophie. Celle-ci est une pensée en acte, elle se conçoit comme une mise en scène, une mise en espace de la pensée, une performance.
Par exemple, les mouvements autogestionnaires ou féministes commencent, à partir de nouveaux concepts, par mettre en discussion l’imaginaire collectif, pour penser et expérimenter des possibilités inexplorés. La pensée féministe implique de sortir du modèle sexiste et hétérocentré ; les idées autogestionnaires ouvrent la possibilité d’organisations indisciplinée…
La naturalisation des discours économico-politiques, qui se présentent sour la forme de vérités indépassables, doit être déconstruite. Ce mouvement critique nous engage ensuite à penser et agir au-delà de la saturation des imaginaires institués.

5 On a pu parfois définir l’anarchisme comme « l’ordre moins le pouvoir ».
Nous sommes quant à nous plutôt sceptiques sur cette formule. L’ordre nous apparaît comme quelque chose d’achevé et de définitif qui ne supporte aucune mise à l’épreuve. L’ordre cristallise, empêche toute forme de mouvement, d’action dynamique et créative. Et il nous semble impossible d’imaginer un ordre sans pouvoir parce que tout ordre a besoin d’un pouvoir pour imposer sa légitimité.
Plutôt que de se battre pour « l’ordre moins le pouvoir », nous préférons faire oeuvre de désorganisation, défaire les vérités institutées, arracher la politique à ses professionnels et ses experts pour reprendre le chemin des métamorphoses : faire circuler autrement les mots et les actes, pour leur offrir de nouvelles solidarités, de nouvelles constellations.
Charlotte Hess, Valentin Schaepelynck et Marcello Vitali-Rosati
Philosophies anarchistes ? / 29 octobre 2011
30 ans de Radio Libertaire / Salle Olympe de Gouges, Paris
Ecouter l’intervention sur Zones d’attraction
A lire également : Y a-t-il moyen de soustraire la pensée au modèle d’Etat ? / Gilles Deleuze et Félix Guattari
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