Nous allons cette année continuer d’étudier, d’explorer, les nouvelles figures de résistance, les nouveaux monstres contemporains qui indiquent aux psychanalystes ce qu’ils ne doivent en aucun cas négliger : les stratégies de l’économie du désir dans le champ social, ce que Félix Guattari appelait très exactement les micropolitiques.
Toutes ces figures parias exposent les transformations qui les écartent d’un « être-ensemble » dans lequel chacun est poussé à une psychologisation des rapports sociaux, orchestrée par les omniprésents « psys » raccourcis. Sous couvert du primat du symbolique et du primat du génital, Mon Moi est devenu la référence-clé, soyons authentiques, exprimons-nous, soyons nous-même, devenons auto-entrepreneurs, et construisons une cellule capitonnée, cellule qui n’est plus celle de la famille dé/composée re/composée mais celle du couple, comme l’avait vu Guy Hocquenghem voilà longtemps. Les enfants, désormais, alternent entre des couples.
« Le Moi [est] la somme des identifications du sujet, la superposition des différents manteaux empruntés à ce que j’appellerai le bric-à-brac de son magasin d’accessoires » disait Lacan en mars 1955.
Performer ces manteaux ne suffit plus. Disjoindre sexe et genre, revisiter le S-M, élaborer, d’un point de vue situé, une anthropologie politique du sexe, prendre en compte l’effet scarificateur du signifiant qui résonne, voilà certes, des tâches en cours chez les psychanalystes. Mais comment mettre en jeu ce que Guattari attendait de « l’autoréférence » ? « L’autoréférence, par rapport à celle des pouvoirs et des savoirs, disait-il, je l’ai définie comme étant la plus singulière, la plus contingente, celle qui ancre les réalités humaines dans la finitude et aussi la plus universelle, celle qui opère les traversées les plus fulgurantes entre des domaines hétérogènes. Il faudrait dire autrement : elle n’est pas universelle au sens strict, elle est plus riche en Univers de virtualité, la mieux fournie en lignes de processualité. »
« Là où l’on pourrait penser qu’on est le plus éloigné de la psychanalyse, il se pourrait bien qu’on en soit au plus près, voire au coeur même : la question de la terminaison de l’analyse est celle du moment où la satisfaction du sujet trouve à se réaliser dans la satisfaction de chacun, c’est-à-dire de tous ceux qu’elle s’associe dans une œuvre humaine [...] la fin de l’analyse didactique n’étant pas séparable de l’engagement du sujet dans sa pratique. Qu’y renonce donc plutôt celui qui ne peut rejoindre à son horizon la subjectivité de son époque. »
C’est du moins ce qu’écrivait Lacan il y a longtemps.
Quelle est l’actualité de SCUM ? Que vient faire cette question dans les Clinic Zones de cette année, intitulées les Manteaux de l’imaginaire ? Jusqu’où le manteau colle-t-il à la peau, est-il la peau, un sac de peau, si l’image ne vient pas stabiliser le passage ? De Marguerite Anzieu à Valerie Solanas, que cherchent les femmes qui trouent la peau de l’autre ? SCUM ! Racaille ! Mais aussi S.C.U.M., Society for Cutting Up Men, Société pour Tailler les Hommes en Pièces. Les rapports entre le patriarcat et le capitalisme, voilà un des points de reconnaissance de bien des échanges féministes, depuis le début du xxe siècle jusqu’au tout récent Pornotopie de Beatriz Preciado. Mais comment se fait-il que SCUM Manifesto, liasse de quelques feuillets écrits par Valerie Solanas en 1968 et vendus dans la rue, connaisse autant de diffusion et d’éditions dans le monde entier encore aujourd’hui et soit le nom de ralliement de nombreux groupes de musique, de punks, de théâtre, de performers, et de très divers artistes contemporains ? SCUM Manifesto serait-il lu aujourd’hui si Valerie Solanas n’avait pas troué la peau d’Andy Warhol ? Quand ORLAN apparaît en Arlequin, véritable métaphore du croisement des cultures, le manteau touche aux opérations, à la peau, à la visagéité. Qu’y a-t-il derrière la peau ? Une « seconde » peau ? Elle explore les croisements en utilisant la peau comme médium. On passe de la peau à la chair. Est-ce ainsi que la chair se fait verbe, est-ce ce qu’ORLAN appelle « mettre ensemble l’intime et le social » ? Faible, folle, cochonne, folklo, sans grade, pauvre, Valerie Solanas faisait le tapin avec le langage. Elle avait entamé des études de psychologie à l’université, et elle a pu, par la suite, dire que « le but de certaines études c’est d’éloigner au maximum de certaines professions ». Catherine Lord, dans divers articles et installations, ne parle pas de tentative d’assassinat, mais de collision frontale entre Valerie et Andy. SCUM est le manifeste d’une vie basse, une stratégie pour habiter à la fois la première personne et un collectif. Valerie avait, par exemple, demandé à Warhol de l’aider à lancer des manifestations SCUMMY, ce ne seraient pas des conférences, expliquait-elle, mais « beaucoup d’échanges avec le public ». Déchiffrer SCUM est ardu. En saisir l’importance, encore davantage. Et ce n’est pas une facilité que de dire : psychanalystes, encore un effort, pour considérer Freud comme un auteur de Dirty Books et la passe comme un dispositif SCUMMY.
« Le sujet ne reste jamais tout à fait prisonnier de ses chaînes signifiantes – translucides, aseptiques, imputrescibles et intemporelles, il ne parvient pas à s’y sentir à l’aise. Il n’est à son affaire qu’avec des objets moins nobles. Son lieu de prédilection, c’est le moins que rien et, pour l’y soutenir, son cavalier préféré, c’est la chair défaillante, voire même quelque peu faisandée. » Félix Guattari / « d’un signe à l’autre » in Psychanalyse et transversalité / 1966.
l’Acualité de SCUM
José Attal / Ninette Succab / Anne-Marie Vanhove / Marie-Magdeleine Lessana / Jean-Hervé Paquot
Paris 3 et 4 décembre 2011
Hôtel Parnasse-Holiday Inn / 79-81 avenue du Maine
Inscriptions sur place à 9h
Formation permanente 275e / A titre individuel 100e / Tarif réduit 50e
Clinic Zones
110 Bd Raspail 75006 PARIS / cliniczones@wanadoo.fr
Ecole Lacanienne de Psychanalyse
Valérie Solanas / SCUM Manifesto / à télécharger en pdf :
scummanifestovaleriesolanas.pdf