Archive mensuelle de juin 2011

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Les Bateaux noirs du genre / l’Unebévue n°28

Comité nomade
Ninette Succab-Glissant / Xavier Leconte / Anne-Marie Vanhove

Sommaire :

Penser le monde entier aujourd’hui comme somptueusement illégitime. En hommage à Édouard Glissant
http://www.unebevue.org/unebeweb/28/hommage

Un Carlyle représente le sujet pour un autre Melville. Copyleft / Xavier Leconte
Le moment où un jeune homme s’enrôle sur un bateau noir est aussi fatidique que l’instant où une moniale épouse le Christ. Comme la jeune fille au Carmel, le pirate se voue à l’absence. En prenant librement de la testostérone, Beatriz Preciado se proclame « pirate de genre », elle n’en passera pas par les fourches caudines d’un protocole, elle sera un usager copyleft. Faut-il suivre Lacan, qui déclare que le Sartor Resartus, de Carlyle, est l’annonce de ce qu’avec Marx et Freud, le sujet va subir ? Melville, dans Moby Dick, guerroie contre l’idéalisme et maugrée : « Ferme ta bouche, vieux Carlyle, toi et ton Goethe ! » Serions-nous devenus les poissonstenus du capitalisme pharmacopornographique, de drôles de poissons, ni corps vivants, ni corps morts, mais connecteurs présents ou absents, actuels ou virtuels ?

Akoma, traversée de mots parmi les arbres / Franz Succab
… Par-dessus tout cela, il y avait la langue ancestrale et le nombre inimaginable de choses et de gestes qu’elle pouvait déjà kriyé. Si bien que parler avec les parents cette autre langue obligatoire à l’école, impliquait de taire la nôtre de l’intérieur. Pire encore lorsqu’il a fallu passer à l’écrit. Quand on change de langue ou quand on passe de la bouche à la plume, on émigre d’un lieu à l’autre, d’un univers à l’autre. On mue. C’est ainsi que je suis parti, avec quelques autres, en me prémunissant contre toute nostalgie, qui-veut-dire, tout retour en enfance. Et ma langue, réputée babillarde, voire primitive, devint nomade.

Message d’une fille de rédacteur sportif : les espèces compagnes / Donna Haraway (traduction Denis Petit)
Les camarades accompagnant mon père – les nouages constitutifs d’espèces compagnes qui retiennent mon attention – ne sont ni moi ni aucun autre organisme, mais une paire de béquilles et deux fauteuils roulants. Ils furent ses partenaires dans le jeu pour mener sa vie. Il vivait en relation avec sa propre présence physique d’une façon qui n’a jamais considéré une seule minute que le déni ou l’immobilité – c’est-à-dire une vie hors du corps – soit une option viable. Le mode de vie viable, c’était la relation d’espèces compagnes.

Créoliser un fantasme de soumission. Isaac Julien, un artiste postcolonial / Ninette Succab-Glissant
http://www.unebevue.org/unebeweb/28/isaac-julien-un-artiste-postcolonial
« Je joue avec la surface de la scène pour qu’elle forme une relation importante entre la scène gay contemporaine et l’histoire ancienne » dit Isaac Julien. Sur fond d’un tableau de Briard, La traite des nègres, il crée des tableaux vivants qui présentent d’autres formes de sexualité de l’homme noir et articulent une tension entre les affirmations historiques ethniques et un discours qui veut dénier ces énoncés. Il nous amène à reconnaître que l’expérience coloniale a affecté la constitution sociale et psychique des deux parts. Il permet la fabrication d’une sorte de mémoire imaginaire où l’identité gay croise sans contestation un espace intermédiaire politiquement et psychologiquement fragmenté. En cela, son film, The Attendant, parle à la fois à la diaspora africaine et au monde occidental.

Basquiat / Warhol, une rencontre queer / Anne-Marie Vanhove
http://www.unebevue.org/unebeweb/28/basquiatwarhol
C’est l’histoire de la rencontre entre deux artistes majeurs, héros queer des années quatre-vingts, l’un, enfant noir des classes moyennes, de père haïtien et de mère portoricaine, vivant à Brooklyn, l’autre, enfant blanc timide et un peu chochotte, devenu une reine fabuleuse de la lascivité et la pornographie, l’un soumis au racisme, l’autre à l’homophobie. José Esteban Muñoz, professeur assistant de Performance Studies à l’école Tish d’Art de l’Université de New York fait de la rencontre Jean-Michel Basquiat / Andy Warhol un exemple de rencontre queer qui lui semble illustrer ce qu’il appelle la « désidentification ».

Colère / Françoise Vergès
Tu t’es toujours promis d’éviter une colère aveugle. Tu as toujours voulu que la colère nourrisse la pensée, que ta colère soit à la hauteur de la pensée. Colère devant la violence du monde, devant la morgue et l’arrogance des puissants, devant leur soif de posséder, leur avidité, leur mépris. Tu te souviens que tu as remarqué dès ta petite enfance des marques de cette morgue, de ce mépris. Tu as grandi dans une de ces anciennes colonies, devenues département français en 1946. La misère était là sous tes yeux.

RER, dernière station / Claudine Davril
20 heures, le RER arrive à la dernière station. Je me lève et regarde derrière moi. Surprise : nous ne sommes plus que deux dans le wagon. Une jeune femme brune aux cheveux longs est déjà debout près de la porte, le visage tendu. Il faut sortir de mes rêveries et changer de rythme… Le passage est en partie obstrué. Quelques jndcit sont grimpés sur les portillons et envahissent l’accès vers la sortie.

Poèmes / Kpêdétin Ahouansou
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Je. Ne suis pas folle

Les peintres « Saint Soleil » d’Haïti / Dany Ducosson
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Le mouvement des peintres Saint Soleil est tout à fait singulier dans l’histoire de la peinture haïtienne. Il résulte d’un projet d’un artiste haïtien Jean-Claude Garoute dit « Tiga », décédé en 2006, qui voulait créer une communauté artistique qui serait en quelque sorte une production collective de résistance des pauvres, du peuple. J’ai eu, grâce à une amie peintre, Odile Latortue, la possibilité en 1997 de le rencontrer ainsi que quelques-uns des peintres : Dieuseul Paul, Louisiane Saint-Fleurant, Saint-Jean, Denis Smith.

N’y va pas sans la rage. De Dylan Thomas à Sherman Alexie / Traduction Nicolas Plachinski
Le poème du gallois Dylan Thomas vient subvertir le récit de Sherman Alexie, tout comme la femme indienne subvertit les sex toys américains. Rage, rage against the dying of the light. Les enfants du peuple indien n’accepteront pas sans rage la mort de la lumière.

Passer les plombs / Anne Marie Ringenbach
http://www.unebevue.org/unebeweb/28/passer-les-plombs
Rencontrer Lena Goarnisson met en demeure de nous confronter à notre propre version du deuil. Aux antipodes du compassionnel et du lacrymal, elle a développé, depuis 1997, une démarche de production artistique directe avec les personnes qui accueillent son projet Memento Mori. Il s’énonce comme point de départ d’une réflexion collective, à partir d’un objet qu’elle fabrique, un plomb, en échange du récit d’un événement dramatique ayant entraîné la mort d’une ou plusieurs personnes. Les plombs voyagent avec leurs porteurs, ce qui assure une circulation des morts parmi les vivants. Les morts acquièrent une certaine forme de nomadisme, traversant famille, pays, toutes catégories qui soutiennent mais aussi séparent les vivants entre eux.

Pléthore de morts-vivants / Rosine Liénard
« Zombie » : drôle de mot, né dans une île, Haïti, et issu d’un double drame, l’esclavage, et la traite des Noirs africains. Les zombies, depuis, ont couru le monde. On les croyait cantonnés à la culture populaire, aux films, aux comics books ou aux jeux vidéos, mais voilà qu’ils s’attaquent à la recherche, infectent le champ universitaire, parasitent les nouvelles technologies. Serions-nous devant un des mythes de notre monde moderne ?

Ceci n’est pas une sculpture / Mireille Lauze
http://www.unebevue.org/unebeweb/28/ceci-nest-pas-une-sculpture
Plus loin, de derrière les pins, une chose apparaît et fait signe, masse noire retenant un éclat de lumière. Une non-sculpture, bloc de matière indéfinie tourmentée de quelles forces… Nous saurons plus tard : elle est un fragment d’avion explosé en plein vol en 1963. Tout se mêle… minéral, humain, végétal… Chairs brûlées d’hommes, bois d’arbres calcinés, métaux en fusion.

La couleur comme caravansérail philosophique. Les fondements de la phénoménologie & l’inventaire de Romano / Jean-Claude Dumoncel
Cet article est un compte rendu rigoureux de l’ouvrage de Claude Romano, Au coeur de la raison, la Phénoménologie dont le chapitre VIII est un véritable Compendium de la Couleur considérée d’un point de vue philosophique. Ce chapitre roule essentiellement sur trois types de propositions qui sont respectivement illustrés par les trois exemples suivants : (a) La couleur est étendue. (b) Une même surface ne peut être entièrement bleue et jaune. (c) Entre le rouge et le jaune il y a l’orangé. La proposition (a) est à comprendre selon la thèse de Berkeley quand il énonce en passant, comme allant de soi, que la couleur ne peut exister sans étendue.
La proposition (b) offre un exemple de la pierre d’achoppement à laquelle s’est heurté selon Wittgenstein l’atomisme logique exposé dans son Tractatus logico-philosophicus. La proposition (c) offre un paradigme de la Grammaire ou Géométrie des couleurs développée par le second Wittgenstein, paradigme de sa Grammaire Philosophique.
l’Unebévue n° 28
les Bateaux noirs du genre / juin 2011

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La Semence de l’homme (II) / Frédéric Ramade / Chimères n°74 : Biopolitiques ? / Il Seme dell’ Uomo / Marco Ferreri

Ebauche synoptique d’un scénario paranoïaque
Avant-propos : la semence de l’homme, Il seme dell’Uomo, est un film de Marco Ferreri daté de 1969. Il met en scène Cino et Dora, un jeune couple plutôt propre sur lui, qu’on qualifierait volontiers de bobo aujourd’hui, qui cherche à se réfugier à la campagne alors qu’une troisième guerre mondiale fait rage. Sur la route, ils tombent sur un premier signe tangible du danger qui les menace et dont ils n’avaient jusque là qu’une conscience vague via la télévision : un bus garé en travers de l’autoroute, porte ouverte, la totalité de ses occupants, des enfants et un chauffeur, morts. Les deux jeunes gens reprennent la route en silence et parviennent bientôt à un check-point militaire où ils doivent abandonner leur véhicule et continuer à pied pour trouver un abri à l’intérieur d’une zone qu’on suppose contaminée. Les responsables du check-point leur administrent des pilules sensées les prémunir du danger, ainsi qu’une injection pour Dora à qui l’on recommande de faire des enfants. Mais une indiscrétion des militaires, sorte d’aparté à la caméra, laisse entendre au spectateur que les jeunes gens vont être utilisés comme des souris de laboratoire et sont tombés dans un tracenard. Parvenus à une villa cossue faisant face à l’océan, Cino & Dora décident de s’installer après s’être débarrassé du propriétaire — joué par Ferreri lui-même — mort dans son fauteuil de rotin sous la tonnelle de la maison. La suite du film reprend les étapes classiques du genre Robinson sur un mode qui tient autant du recyclage de la société qui est en train de disparaître que d’une renaissance à partir des ressources de la terre. Hormis quelques visites — une milice fasciste qui les encourage à faire des enfants, une baroudeuse sexy qui garderait bien Cino pour elle, une baleine qui s’échoue sur la plage — la vie paisible du jeune couple est troublée par le refus de Dora d’avoir des rapports sexuels avec Cino et de lui donner un enfant. Alors que Cino, désespéré par la sève qui s’agite dans son corps, se fabrique un avatar féminin avec le sable de la plage, Dora fini par se résigner à se donner à son amoureux. Suite à cet acte sexuel — suivi d’un deuxième rapport, cette fois la nuit à l’insu de Dora — la jeune femme tombe enceinte. Apprenant la grossesse de sa compagne, Cino exulte et hurle : « Il seme dell’uomo ha germogliato ! Ho seminato! », « la semence de l’homme a germé, j’ai ensemencé ». Dora catastrophé ne veut pas le croire. Elle poursuit son amant qui continue de hurler joyeusement sur la plage. Soudain, alors que Cino danse autour de Dora en levant les bras au soleil dans un geste de victoire, une explosion réduit les deux jeunes gens en poussière.
Cette fin violente — qui augure des nombreuses morts qui entacheront désormais la plupart des films de Ferreri — laisse libre cours à l’interprétation. Les responsables du chek-point ont-ils tenté de tester des médicaments rendant la reproduction humaine possible en zone contaminée ? Cino et Dora ont-ils été éliminés en raison d’une mauvaise conjugaison de gênes ne faisant pas d’eux des repeupleurs potentiels ? La terre a-t-elle voulu se venger des souffrances que lui inflige l’homme ? Peu importe au fond la machination qui se trame derrière cette mort, l’essentiel est qu’elle survient au moment où nous est révélé cette phrase capitale qui donne son titre au film : « la semence de l’homme a germé ».
Quarante ans plus tard, imaginons une suite à cette histoire, ou plutôt une adaptation, voire un de ces produits dérivés dont l’industrie cinématographique américaine raffole. Cette fois la semence de l’homme n’est pas celle qu’il plante dans le ventre de sa femme, mais celle qu’il prélève sur les végétaux qui le nourrissent et avec laquelle il ensemence la terre sur laquelle il vit. Nous sommes dans un futur proche, une cinquantaine d’années peut-être, évidemment catastrophique, c’est le genre qui veut ça. Le monde est aux mains d’empires autocrates qui assurent leur domination par le contrôle qu’ils ont des semences agricoles et donc sur la nourriture. Dans un premier temps, cette domination s’est faite discrète. Elle était assurée par des entreprises privées alliées aux états qui les hébergeaient. Ces semenciers, comme on les appelait, ont d’abord argué de la santé des populations et d’un accroissement nécessaire des rendements pour fixer un cadre législatif stricte à la commercialisation des semences. Un catalogue officiel des espèces et variétés avait été créé dans de nombreux pays. Au fil des ans et des décrets, les conditions d’inscription d’une semence à ce catalogue officiel étaient devenues de plus en plus difficile. Tout ça avait eu lieu il y a fort longtemps, au début du XXe siècle, et rare sont ceux qui en gardent encore la mémoire dans le futur où se déroule notre histoire. Une histoire millénaire, celles des paysans triant parmi leur récolte les semences qu’ils estimaient les plus appropriées à la culture , avait peu à peu été remise en cause. Bien sûr ça et là, des petits groupes tentaient de résister à la pression commerciale des majors mais la collusion des grands groupes avec les états, allié à la surpopulation et aux virages totalitaires de certains blocs démocratiques, parvinrent à étouffer la majeure partie d’entre eux. D’autant que dans le grand jeu de concentration capitalistique du XXe siècle, les majors comprirent rapidement l’intérêt qu’elles avaient à s’allier à l’industrie chimique et au génie génétique pour renforcer leur puissance. Les semences produites par hybridation, baptisées F1 , peut-être en hommage à un sport basé sur la vitesse et la technique pratiqué du temps des énergies fossiles, prirent le pas sur les semences vernaculaires. Outre leur résistance et leur rentabilité, ces semences avaient la particularité de ne pouvoir être récoltées et replantées par les paysans les utilisant. Ceux-ci devaient donc racheter chaque année de nouvelles semences. Les choses se corsèrent lorsque les apprentis sorciers de la semence s’attaquèrent aux gênes des futures plantes, modifiant leur structure pour renforcer certaines capacités, y compris celle de résister à des produits chimiques de traitement. La situation politique suivant la marche du capitalisme, les dérapages ne tardèrent pas à arriver. D’étranges épidémies commencèrent à frapper les cultures des non-alignés, entraînant de terribles famines et une nouvelle redistribution territoriale sous contrôle des empires, la collusion entre le privé et le public étant devenue telle qu’il était devenu difficile de parler d’états. C’est dans ce contexte trouble, de faim et de guerre pour le contrôle des vivres que se déroule notre histoire.
Dans la Semence de l’homme (II), la quiétude anxieuse de Ferreri cède évidemment la place à la panique frénétique d’un block-buster.
Frédéric Ramade
la Semence de l’homme (II)
Extrait de l’article paru dans Chimères n° 74 : Biopolitiques ? / 2011
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Marco Ferreri
Il Seme dell’ Uomo / 1969
avec Mark Gross, Anne Wiazemsky et Annie Girardot

Les détectives sauvages / Roberto Bolaño

28 novembre
Des choses horribles continuent à arriver, des rêves, des cauchemars, des impulsions que je suis et que je n’arrive pas du tout à contrôler. Comme quand j’avais quinze ans et que je n’arrêtais pas de me masturber. Trois fois par jour, cinq fois par jour, ce n’était jamais assez ! Rosario veut se marier avec moi. Je lui ai dit que je ne croyais pas au mariage. D’accord, elle a ri, se marier, ne pas se marier, ce que je veux dire c’est que j’ai BESOIN de vivre avec toi. Vivre ensemble, ai-je dit, dans la MÊME maison ? Bien sûr, dans la même maison, ou dans la même chambre si nous n’avons pas d’argent pour LOUER une maison. Et même dans une grotte, a-t-elle dit, je ne suis pas du tout EXIGEANTE. Son visage luisait, je ne sais pas si c’était à cause de la transpiration ou de la foi en ce qu’elle disait. La première fois que nous l’avons fait, ça a été chez elle. Rosario habitait un immeuble modeste, une vecindad perdue dans la colonia Merced Balbuena, à quelques pas de la Calzada de la Viga. La pièce était pleine de cartes postales de Veracruz et de photos d’artistes de cinéma punaisées aux murs.
- C’est la première fois mon petit chéri ? m’a demandé Rosario.
Je ne sais pas pourquoi je lui ai dit que oui.

23 décembre
Aujourd’hui il ne s’est rien passé. Et s’il s’est passé quelque chose, le mieux est de le taire, parce que je ne l’ai pas compris.

Roberto Bolaño
les Détectives sauvages / 1998
Archivo Bolaño
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