Archive mensuelle de mars 2011

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L’antisémitisme partout / Alain Badiou & Eric Hazan

Au cours de l’année 2002, la guerre se déchaîne contre les forces du Mal au Moyen-Orient. En Afghanistan, l’armée américaine, qui a envahi le pays six semaines après le 11 septembre, poursuit son entreprise de libération. Une autre libération se profile, celle de l’Irak : militaires et diplomates préparent ouvertement l’invasion du pays pour y implanter la démocratie. En Palestine, où s’est déclenchée la deuxième Intifada, l’armée israélienne réinvestit toute la Cisjordanie et l’opération Rempart balaye ce qui reste de l’autonomie accordée à Oslo. En avril, la prise du camp de réfugiés de Jénine et sa destruction au bulldozer font des dizaines de morts civiles.
Pendant ce temps, en France le premier tour de l’élection présidentielle est marqué par le succès du Front national. Roger Cukiermann, président du CRIF, déclare à Haaretz (23 avril 202) que le résultat de Le Pen « servira à réduire l’antisémitisme musulman et le comportement anti-israélien, parce que son score est un message aux musulmans leur indiquant de se tenir tranquilles. »
C’est dans ce contexte que se développe une campagne dénonçant une « vague d’antisémitisme » en France. « Des synagogues sont incendiées, des rabbins sont molestés, des cimetières sont profanés, des institutions communautaires mais aussi des universités doivent faire nettoyer, le jour, leurs murs barbouillés, la nuit, d’inscriptions ordurières. Il faut du courage pour porter une kippa dans ces lieux féroces qu’on appelle cités sensibles et dans le métro parisien. » (1)
Pourquoi cette campagne ? Il importe d’allumer un contre-feu, car l’opinion publique et même les médias sont choqués de la brutalité avec laquelle l’armée israélienne réprime la deuxième Intifada. Dénoncer la « poussée d’antisémitisme » est un bon moyen pour détourner l’attention de la sanglante opération Rempart ou mieux encore, pour la présenter comme une mesure défensive, dans le contexte d’une « montée générale de l’antisémitisme ».
L’opération se déroule sur un terrain favorable : la détestation montée d’un bout à l’autre de l’Occident contre les Arabes et les musulmans après le 11 septembre. Car la vague d’antisémitisme, ce sont eux, naturellement eux qui en sont les agents propagateurs. « La recrudescence en France et en Europe des agressions antisémites, verbales ou physiques a, depuis l’éclatement de la « deuxième Intifada » à l’automne 2000, incontestablement mis en avant de nouveaux acteurs de la haine antijuive, nommément des agresseurs issus des banlieues ou de l’immigration, des victimes du racisme et de la discrimination qui s’adonnent, envers les Juifs, aux comportements contre lesquels il sont en droit de se voir eux-mêmes protégés. » (2)
La notion d’une « vague d’antisémitisme » n’était pas entièrement dénuée de fondements : il est indéniable que dans ces années 2002-2004, il y eut des insultes proférées contre des juifs, des tags hostiles, des cageots incendiés devant des synagogues, des bagarres entre jeunes… Même si les actes les plus médiatisés, ceux qui déclenchèrent le plus de mâles paroles chez les politiques et le plus d’indignation dans les institutions juives furent le fait d’une mythomane (« l’agression » de Marie L. dans le RER D en juillet 2004) ou d’un pauvre fou, juif de surcroît (l’incendie d’une centre social juif rue Popincourt en août de la même année), la réalité de manifestation d’hostilité contre les juifs à cette époque ne fait aucun doute, et nous ne prenons aucune manifestation de ce genre à la légère. Il ne se passait cependant rien qui puisse paraître d ‘une gravité exceptionnelle, rien d’irréparable, et même Simone Veil critiqua vertement le mot de Finkielkraut faisant de 2002 une « année de cristal ». (3)
Mais pour les initiateurs et les militants de cette campagne, peu importait l’ampleur réelle de « la vague » : l’impulsion était donnée. Parallèlement à la presse dénombrant avec une précision toute policière les « actes à caractère antisémite » dont il s’agissait de montrer la prolifération, on vit sortir en octobre 2004 le rapport Ruffin, commandé par le ministère de l’Intérieur, qui dénonçait « un antisémitisme d’importation, notamment chez des jeunes issus de familles originaires de pays où l’antisémitisme est culturellement banalisé. » Ruffin assimilait « l’antisionisme radical » à un antisémitisme « par procuration » et préconisait une loi qui pénaliserait la critique de l’Etat d’Israël.
Ce fut d’ailleurs l’époque des premiers procès – contre Daniel Mermet, contre La Fabrique éditions, puis contre Edgar Morin, Sami Naïr et Danielle Sallenave – procès intentés pour « incitation à la haine raciale » – par une officine nommée Avocats sans frontières (4). On vit également paraître une série d’ouvrages dénonçant l’antisémitisme des « maghrébins ». Dans les Territoires perdus de la République, ouvrage collectif dirigé par Emmanuel Brenner et centré sur la question de l’école, l’idée générale est que « l’antisémitisme qui se donne libre cours dans les établissements scolaires de certains quartiers, le peur des adultes responsables devant des propos et des comportements inacceptables, l’affaiblissement intellectuel devant l’offensive islamiste sont inséparables de ce gouffre qui, plus que jamais, sépare en France le peuple de ses élites. » (5) Nicolas Weill, dans la République et les antisémites, accepte comme « un fait » qu’il y ait « un antisémitisme arabo-musulman particulièrement virulent, que celui-ci soit à l’occasion toléré par une certaine extr^me gauche souvent passive – ou fascinée – devant son extrémisme. » (6)
On notera au passage le retour insistant du mot « République », déjà fortement mis à contribution pour soutenir l’interdiction du « foulard islamique » à l’école, ce mot qu’on croyait nourri, au moins abstraitement, par un certain universalisme politique, voire orienté vers la défense du droit « des gens d’en bas », servait désormais d’emblème à l’hostilité envers les ouvriers arabes et musulmans des cités populaires.
Pour sa part, Prêcheurs de haine, de Pierre-André Taguieff, est une longue (968 pages) dénonciation, une véritable liste de proscription des ces « archéo-trotskistes et nouveaux gauchistes antimondialisation, outrancièrement palestinophiles (…) alors que même l’islamisation de la cause palestinienne s’accentue. » (7)
La dénonciation d’une « montée de l’antisémitisme » fut relayée et amplifiée par la presque totalité des médias et de ce qu’on appelle « le monde politique ». Du côté de la gauche, les plus bruyants étaient les habituels ennemis des « arabo-musulmans » français : les dévots de la laïcité et les féministes égarées. (Notons au passage que le syntagme « arabo-musulmans », complété par celui de même farine « islamo-gauchistes », est d’origine policière, comme tous les doublets du même genre, « judéo-bolchévique », « hitléro-titiste » ou plus récemment « anarcho-autonome ».)
Du côté de la droite au pouvoir, il y avait unanimité dans la « détermination sans faille » à lutter contre la renaissance de l’antisémitisme. Il peut paraître étrange de voir les juifs aussi bien « défendus » par un courant idéologique – la droite – qui leur est traditionnellement hostile. Le phénomène ne peut manquer d’évoquer la blague d’origine israélienne : « Qu’est-ce qu’un philosémite ? C’est un antisémite qui aime les juifs ». Au cours de ces années 2002-2003, le nombre et l’activité de ces philosémites-là semblaient s’accroître dans de considérables proportions.
Alain Badiou & Eric Hazan
l’Antisémitisme partout – aujourd’hui en France / 2011
A lire également : la Deuxième mort du judaïsme
A voir : Eyal Sivan
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1 Alain Finkielkraut, Au nom de l’Autre, Réflexions sur l’antisémitisme qui vient, Paris, Gallimard, 2003, p.9.
2 Nicolas Weill, la République et les antisémites, Paris, Grasset, 2004, p.15.
3 En référence, évidemment, la Nuit de cristal de 1938, où des centaines de juifs avaient été tués par les nazis.
4 En réalité, ces procès avaient été précédés d’autres actions en justice, menées le plus souvent par la Licra et le Mrap, contre de véritables fascistes / négationnistes (Roger Garaudy, Bernard Anthony…). Elles avaient permis de constituer une jurisprudence, mais dans les années 2000, la cible ayant changé, le Mrap s’était désengagé de ce type d’action.
5 Les Territoires perdus de la République, antisémitisme, racisme et sexisme en milieu scolaire, Emmanuel Brenner éd., Paris, Mille et une nuits, 2002, p.17-18.
6 N. Weill, op. cit., p.33.
7 Pierre-André Taguieff, Prêcheurs de haine, traversée de la judéophobie planétaire, Paris, Mille et une nuits, 2004, p.192.

Le Livre de l’intranquillité / Fernando Pessoa – Bernardo Soares

Je suis les faubourgs d’une ville qui n’existe pas, le commentaire prolixe d’un livre que nul n’a jamais écrit ; je ne suis personne, personne. Je ne sais ni sentir, ni penser, ni vouloir. Je suis le personnage d’un roman qui reste à écrire, et je flotte, aérien, dispersé sans avoir été, parmi les rêves d’un être qui n’a pas su m’achever.
Fernando Pessoa – Bernardo Soares
le Livre de l’intranquillité / (fragment 1er décembre) 1931
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(fragment(s)-rhizome de Fragment(s) subjectif(s), un voyage dans les Iles enchantées nietzschéennes / Stéphane Nadaud)

Watt / Samuel Beckett

Penser, quand on n’est plus jeune, quand on n’est pas encore vieux, qu’on n’est plus jeune, qu’on n’est pas encore vieux, ce n’est peut-être pas rien. Faire une pause, vers la fin de sa journée de trois heures, et considérer : l’aise toujours plus sombre, la peine toujours plus claire ; le plaisir là encore parce qu’il fut, la douleur là déjà parce qu’elle sera ; l’acte joyeux devenu volontaire, en attendant de se faire acharné ; le halètement, le tremblement, vers l’être révolu, devant l’être à venir ; et le vrai qui ne l’est plus, et le faux qui ne l’est pas encore. Et décider de ne pas sourire après tout, assis à l’ombre à écouter les cigales, à réclamer la nuit, à réclamer le matin, à écouter le murmure. Non, ce n’est pas le coeur, non, ce n’est pas le foie, non, ce n’est pas la prostate, c’est musculaire, c’est nerveux. Puis la rage s’achève, ou elle continue, et l’on est au fond du trou, au-delà du désir du désir, de l’horreur de l’horreur, au fin fond du trou, au pied de toutes les pentes enfin, des chemins qui montent, des chemins qui descendent, et libre, libre enfin, pour un instant libre enfin, rien enfin.
Samuel Beckett
Watt / 1945 / 1953 / 1968
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