Penser, quand on n’est plus jeune, quand on n’est pas encore vieux, qu’on n’est plus jeune, qu’on n’est pas encore vieux, ce n’est peut-être pas rien. Faire une pause, vers la fin de sa journée de trois heures, et considérer : l’aise toujours plus sombre, la peine toujours plus claire ; le plaisir là encore parce qu’il fut, la douleur là déjà parce qu’elle sera ; l’acte joyeux devenu volontaire, en attendant de se faire acharné ; le halètement, le tremblement, vers l’être révolu, devant l’être à venir ; et le vrai qui ne l’est plus, et le faux qui ne l’est pas encore. Et décider de ne pas sourire après tout, assis à l’ombre à écouter les cigales, à réclamer la nuit, à réclamer le matin, à écouter le murmure. Non, ce n’est pas le coeur, non, ce n’est pas le foie, non, ce n’est pas la prostate, c’est musculaire, c’est nerveux. Puis la rage s’achève, ou elle continue, et l’on est au fond du trou, au-delà du désir du désir, de l’horreur de l’horreur, au fin fond du trou, au pied de toutes les pentes enfin, des chemins qui montent, des chemins qui descendent, et libre, libre enfin, pour un instant libre enfin, rien enfin.
Samuel Beckett
Watt / 1945 / 1953 / 1968
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