« Sans la reconnaissance de la valeur humaine de la folie, c’est l’homme même qui disparaît. » / François Tosquelles
Nous adressons à la société tout entière la question « quelle hospitalité pour la folie ? » quand une future loi, véritable insulte à la culture, s’attaque à l’essence même du lien social, en désignant à la vindicte de tous et en menaçant des personnes plus vulnérables que dangereuses.
Nous souhaitons avoir votre concours, votre engagement pour préserver cette part énigmatique de l’humain, sa part de folie.
Un projet de loi « sur les modalités de soins psychiatriques » sera discuté cet automne au Parlement : il détourne le terme de « soins » et représente une grave attaque contre les libertés individuelles ; il risque d’altérer profondément la relation entre patients et soignants.
Ce projet de loi instaure des « soins sans consentement », y compris « en ambulatoire », c’est-à-dire en dehors de l’hôpital, au domicile. Il remplace les modalités actuelles d’hospitalisation et d’alternative à l’hospitalisation en promouvant toujours plus de contrôle et de répression.
Tout un chacun est aujourd’hui concerné par cette réforme. En effet, la notion de « santé mentale » utilisée notamment par les rapports gouvernementaux semble étendre le domaine des troubles psychiques à la simple exacerbation des sentiments, des émotions, aux peurs, à la tristesse, aux énervements, aux angoisses, aux ressentis et vécus douloureux, liés à des situations précises telles que le travail, une rupture, un deuil. De plus, l’évocation du « trouble de l’ordre public », entraînant la mise en place de soins psychiatriques sans consentement, comporte un risque de dérive pour les libertés individuelles.
Ce texte s’inscrit dans le droit-fil du discours de Nicolas Sarkozy à l’hôpital d’Antony le 2 décembre 2008. Désignées par le Président de la République comme potentiellement criminelles, en tout cas potentiellement dangereuses, toutes les personnes qui présentent des signes peu ordinaires de souffrance psychique, quelle que soit leur intensité, se trouvent en danger de maltraitance. Se saisissant de dramatiques faits-divers, pourtant exceptionnels, le Président a laissé libre cours à son obsession sécuritaire. Cette orientation a déjà donné lieu à plusieurs textes réglementaires qui aggravent les conditions de l’hospitalisation et poussent vers plus d’enfermement, plus d’isolement.
Le projet de loi qui crée les « soins sans consentement » y compris à domicile, est un saut dans l’inconnu. Il représente un risque de dérive particulièrement inquiétante car sont instaurés :
- des soins sous la menace d’une hospitalisation forcée en cas d’absence aux consultations ;
- des soins réduits à la surveillance d’un traitement médicamenteux, nouvelle camisole chimique ;
- des soins où la rencontre, la confiance dans la relation, la patience, la prise en compte de la parole, sont oubliées ou accessoires.
Nous savons bien que c’est la peur qui génère des réactions violentes chez certaines personnes ; or, cette loi va organiser la peur des patients et la peur chez les patients.
Ce texte porte atteinte à la confiance entre le patient et le soignant : celui-ci représentera en permanence une menace, une surveillance sur la liberté d’aller et venir du patient, car il lui incombera de signaler toute absence aux consultations et aux visites, sous peine de sanctions. Le préfet, saisi par le directeur de l’hôpital, enverra les forces de l’ordre pour contraindre la personne à une hospitalisation. Le malade devenant « un contrevenant », il s’agit donc de nous exclure de notre métier de soignant.
Cette politique accompagne une dérive, depuis une quinzaine d’années, des pratiques psychiatriques : carence des formations, augmentation des isolements, retour des techniques de contention, primauté des traitements médicamenteux sur l’écoute, la relation, l’accueil des personnes en souffrance psychique. Ce projet de loi, avec la conception des troubles mentaux qu’il implique, va amplifier ces pratiques d’un autre âge.
Un collectif s’est constitué en décembre 2008, en réaction immédiate à ce sinistre discours présidentiel : le Collectif des 39 contre la nuit sécuritaire.
Se sont ainsi réunis des professionnels de la psychiatrie qui entendent résister à cette orientation inacceptable, à ces pratiques asilaires et aux nouvelles dérives scientistes.
Dans de nombreuses équipes, dans de nombreux services et secteurs psychiatriques, des artistes, des philosophes apportent leur concours aux professionnels pour mettre en œuvre avec les patients des espaces de création, d’initiatives, d’événements artistiques, joyeux, sérieux, inventifs, troublants, surprenants, en apportant de la vie, du désir là où la vie, le désir ont tendance à s’évanouir.
Des expositions, des créations théâtrales, des événements musicaux, des créations vidéos, des musées d’Art brut, des initiatives radiophoniques et par Internet se sont multipliés, donnant à voir la fécondité des productions originales possibles, enrichissant ainsi des thérapeutiques diversifiées.
Nous devons créer les conditions d’un accueil humain de la douleur morale, du désarroi psychique, des discours énigmatiques et délirants.
La possibilité de penser le soin et la folie est aujourd’hui mise en cause. Nous entendons bien résister à ce glissement vers le pire, et pour cela nous avons besoin de vous.
Nous ne voulons pas d’un tri des êtres humains en fonction de leur valeur utilitaire.
Nous ne voulons pas d’un retour au grand renfermement.
Nous ne voulons pas de l’internement à domicile.
Votre signature, votre participation au Comité de Soutien, au meeting que nous organisons le 25 septembre 2010 à Villejuif nous seraient d’une aide précieuse.
www.collectifpsychiatrie.fr
septembre 2010
« On juge le degré de civilisation d’une société à la manière dont elle traite ses marges, ses fous et ses déviants. » / Lucien Bonnafé