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Archive journalière du 1 juil 2010

Le Schizo et les langues / Louis Wolfson

Quelquefois ses réflexions sur comment vite débarrasser son cerveau échomatique ou plus exactement écholalique de certains mots anglais, ses efforts de s’habituer à les changer instantanément en mots étrangers amenaient l’étudiant de langues schizophrénique à se rendre compte d’une certaine généralité d’un phénomène phonétique qu’il avait longtemps avant supposé limité à un ou peut-être deux cas particuliers de mots congénères et à se rendre compte ainsi de la parenté entre deux mots que sans cela il n’aurait possiblement jamais soupçonné congénères ; et en faisant ces découverts linguistiques pour ainsi dire, il se sentait très intelligent, très capable, très doué, peut-être comme s’il avait fait des contributions vraiment importantes à la somme des connaissances humaines. Par exemple, dans chacun de trois jours consécutifs il rencontrait un différent mot anglais, tous les trois mots se terminant par les mêmes trois lettres et ces dernières toujours précédées d’une voyelle de l’avant. Cependant, seulement un de ces mots anglais avait une parenté étymologique plus ou moins évidente à lui avec un mot d’une langue étrangère qu’il étudiait, et évidente à lui seulement en raison de l’identité de leurs deux premiers phonèmes (qui étaient consonnes) et à la fois de leur sens principal.
Le psychotique buvait, au lieu de lait complet, du lait écrémé qui se vendait dans des boîtes de carton ciré dont le couvercle, quand replacé, couvrait aisément le trou se trouvant dans le dessus du contenant et par lequel le liquide se versait, et couvrait, en outre, bien de l’air, et les crêtes et le coin adjacents au trou. Le jeune homme schizophrénique craignait tellement, paraissait-il, que de la saleté n’entrât dans son lait écrémé, laissé à lui tout seul. Car peut-être la saleté contiendrait un oeuf ou une larve, ou même plusieurs, d’un ver parasite ; et il avait une peur extraordinaire de certains de tels vers. Du moins faisait-il mine d’en avoir une telle peur et peut-être parce que sa préoccupation avec ces créatures avait été une des raisons, sinon la majeure, mentionnées comme justifiant ses hospitalisations psychiatriques et les traitements de chocs électriques et insuliniques. Certes, il voulait toujours avoir le sentiment qu’il prît tout au moins quelques précautions contre une infection par ces animalcules, plutôt le sentiment qu’il en prît plus que la plupart des autres, et en vérité c’était beaucoup plus ! Toutefois, il doutait fortement de la nécessité de toutes ses précautions contre ces vers, mais, par exemple, il lui semblait plus facile de les prendre que de lutter contre soi-même, pour ainsi dire, en essayant de se convaincre de leur superfluité. – Il s’agissait de vers comme la trichine, les ténias, le lombric, l’oxyure, l’ankylostome, les douves, l’anguillule.
Donc, l’aliéné bouillait certains de ses aliments dans un pot ou dans une poêle durant dix, quinze, même vingt minutes, stérilisait sa cuiller en la mettant dans le feu du bec de gaz du poêle, ayant été habitué dans quelques asiles, ou du moins dans certaines de leurs salles où on ne confiait pas de couteau ni de fourchette aux internés, à se servir uniquement d’une cuiller en mangeant, ingérait ensuite ses aliments directement de l’ustensile de chauffage et avec la seule pièce d’argenterie (ou plutôt faite d’acier inoxydable) stérilisée – une assiette serait peut-être contaminée d’oeufs ou de larves de vers parasites – tout en prenant garde que la nourriture ne touchât les parties externes de ses lèvres, lesquelles parties peut-être étaient contaminées, elles aussi, d’oeufs ou de larves de ver parasite. Cependant, pour les compotes de de fruits contenues dans des bocaux qui avaient été scellés mécaniquement au chaud, pour les gâteaux et les tourtes qui paraissaient avoir été bien enveloppés par machine sans avoir été, le schizophrène l’espérait-il, touchés de mains humaines, il ne prenait pas le soin, le trouble, le temps de les cuire, les mangeant tous directement de leurs contenants. Tout considéré, ces fruits et cette pâtisserie avaient été bien cuits préalablement. – Toutefois, et comme mentionné plus haut, quand il était tombé dans une de ses rages de manger, atteint d’une de ces fringales, il n’était pas du tout si soigneux, en particulier en ce qui concernait le contact des aliments avec les parties extérieures de ses lèvres – alors, fréquemment debout et au galop (incapable même de prendre le temps de s’asseoir à sa table), il pousserait de grands morceaux de nourriture dans sa bouche, plus larges que celle-ci ne pouvait s’ouvrir.
Louis Wolfson
le Schizo et les langues / 1970
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