« En privilégiant une forme de cinéma à une autre, un discours face à un autre, un petit film indépendant que 99% des salles françaises n’ont pas programmé à un film qui bénéficie d’une sortie nationale dans 50 salles, Utopia a agi en programmateur professionnel, libre et (certes) engagé » / Eyal Sivan cinéaste israélien
A l’heure où la flottille humanitaire pour Gaza est arraisonnée par des commandos israéliens dans les eaux internationales, et que nous pouvons suivre quasiment en direct l’assassinat de certains passagers, les cinémas Utopia prennent la décision modeste et courageuse de déprogrammer provisoirement une comédie sentimentale israélienne (A cinq heures de Paris) pour reprogrammer le film Rachel, de la cinéaste israélienne Simone Bitton.
Ce film remarquable, que l’UJFP a accompagné à maintes reprises en France, est une véritable enquête sur la parodie d’enquête à propos du meurtre de Rachel Corrie, la militante pacifiste américaine écrasée par un char israélien en voulant s’opposer à la destruction d’une maison dans la bande de Gaza en 2003 – Rachel Corrie est le nom qui a été donné à un des bateaux de la flottille.
Le réseau Utopia est probablement un de ceux qui ont donné à voir le plus de films israéliens et palestiniens et n’envisage pas d’y renoncer, il s’agit d’autant moins d’une opération de boycott que l’échange de programmation s’est fait entre deux productions israéliennes, et que A 5h de Paris est programmé en septembre prochain.
Cependant et dans le même esprit que la campagne BDS (Boycott, Désinvestissement, Sanctions) appelée par la société civile palestinienne et reprise dans le monde y compris par des militants israéliens, Utopia veut réfléchir à la consommation y compris culturelle avec ses spectateurs.
Ce qui semble évident vu son travail depuis des années.
Ce qui l’est moins c’est la campagne médiatique qui s’est développée ces derniers jours contre le choix d’Utopia, avec les accusations scandaleuses et imbéciles d’antisémitisme ou de remise en cause de la liberté de création.
En d’autres termes, ce qui est attendu d’Utopia comme de la société française c’est, le silence et l’obéissance. Sur les crimes contre Gaza et aussi contre la solidarité internationale.
L’UJFP dénonce fermement une campagne punitive à l’égard d’Utopia, chargée d’intimider tous ceux qui risqueraient de les imiter en rappelant qu’ A 5 heures de Paris, ce dont il faut parler et que tant de médias veulent faire oublier, c’ est du siège de Gaza et de la mort lente d’un million et demi de civils.
Bureau national de l’UJFP / 15 Juin 2010
A 5 heures de Paris, un film de Leon Prudovsky (Israël 2009 1h30 VOSTF). C’est l’histoire d’un amour impossible… tiens donc ? Un film pas polémique pour deux sous, où on ne voit même pas l’oreille d’un Arabe… Distribué par une adorable société de distribution, dont on programme quasi tous les films, il était prévu à Utopia Tournefeuille en sortie nationale le 23 Juin et on s’apprêtait à le caser en bonne place dans la nouvelle gazette que nous sommes en train de fabriquer quand, tout soudain, nous parvient l’écho de l’agression de l’armée israélienne contre les navires pacifistes qui voguaient vers Gaza… je ne vous en dis pas plus, vous avez tous suivi.
Que faire pour manifester de manière un peu visible la réprobation d’un petit cinéma citoyen de rien du tout ? Un petit cinéma qui s’est toujours fait avec enthousiasme le relais de tous les beaux films israéliens et des rares palestiniens diffusés en France, accompagnés de nombreux débats, et qui s’exaspère de voir Israël attaquer, au mépris du droit, des navires transportant du matériel d’urgence et des militants pacifistes réclamant la cessation du blocus de Gaza, cette prison à ciel ouvert dont le beau film Aisheen nous donne encore aujourd’hui une vision désespérante.
Depuis tant d’années qu’Israël s’assied avec la plus parfaite arrogance sur les résolutions successives de l’ONU, se bat les flancs de toutes les protestations (plus ou moins molles) des états occidentaux (ceux qui ont le fric et les armes) à chaque mise à mal du droit international… quelle arme reste-t-il à des citoyens lambda, qui excluent d’office les moyens violents, pour faire savoir que trop, c’est trop et qu’il serait temps que les choses bougent ? Les dockers suédois et sud-africains ont apporté leur réponse en refusant de décharger les bateaux israéliens accostant dans leurs ports ; nous, cinéma Utopia, avons décidé de déprogrammer le film À cinq heures de Paris, soutenu par Israël Film Fund et Isratim (on n’a rien contre ce gentil petit film que nous nous engageons à programmer au premier signe de lever du blocus israélien de Gaza).
On a fini en effet par comprendre, au fil du temps et des pétitions, que nos élus, tétanisés par la crainte de mécontenter un état soutenu inconditionnellement par les Américains, feraient systématiquement passer la raison économique et donc celle du plus fort avant toute autre considération, en se contentant d’émettre des vœux pieux…
D’ailleurs qu’y a-t-il à cinq heures de Paris ? Tel Aviv, jumelée avec Toulouse… Subventionnée par le Conseil Régional et organisée par la Chambre de Commerce France Israël, une flottille de décideurs toulousains bien nourris, frétillants à l’idée de trouver stimulation et échanges auprès de ces pirates de haute mer, est partie le 4 Juin pour Tel Aviv. On s’interrogera au passage sur ces échanges d’une innocence toute relative puisque, parmi les multiples collaborations qui lient les deux villes, il y a celles qui tournent autour des drones dernier modèle (EADS/IAI), qui sont ce qu’il y a de plus sophistiqué dans les systèmes de combat… Des effusions qui ne s’arrêtent d’ailleurs pas aux portes de la ville rose puisque des soldats israéliens s’entrainent à la guerre électronique et à l’attaque de sites radar au milieu des pins des Landes, alors que nos soldats à nous, embrassons nous Folleville, devraient, si l’on en croit le Canard Enchaîné du 2 juin, partir s’entrainer incessamment à la guerilla maritime (euh ! urbaine) dans les territoires palestiniens et au Liban.
Dans ce contexte-là, de violence et de haine, la déprogrammation d’un film peut sembler bien mignonne et bien dérisoire… Pourtant, à voir la quantité d’appels de tous les médias de France et de la planète dès l’annonce (par le distributeur) de notre décision, on se dit que tout petits et tout isolés que nous sommes, on a mis le doigt sur la seule façon de faire entendre notre désapprobation.
On programme à la place le très beau film de Simone Bitton, Rachel (un film qui a été très peu passé par les salles de cinéma en France, sans que personne ne s’en indigne), qui nous semble beaucoup plus d’actualité. Jeudi 24 juin à 20h à Tournefeuille, la projection sera suivie d’une rencontre avec les associations Génération Palestine, Palestine 33 et l’Union Juive Française pour la Paix.
Cinéma Utopia
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