La pilule et le féminisme d’Etat.
Le coup de maître du régime pharmacopornographique est d’avoir utilisé les rhétoriques révolutionnaires du mouvement féministe des années 60 afin de faire passer la nouvelle gestion pharmacopornographique du corps pour une étape de la libération sexuelle (dans le cas de la pilule). Parallèlement, le féminisme abolitionniste confie la gestion de la production de représentations pornographiques et du marché de la prostitution à l’Etat en exigeant l’abolition de la prostitution et la pénalisation de la pornographie (*). Dans le cas de la pornographie, le résultat de ces mesures est la réduction de l’industrie du sexe à une économie souterraine, la marginalisation et la paupérisation de ses travailleurs. Concernant la « politique de planning familial », le résultat est l’administration massive d’oestrogène et de progestérone à toute bio-femme en âge d’être fertile. Nous pouvons affirmer, non sans une certaine angoisse, que le féminisme libéral abolitionniste a pu fonctionner comme un des appareils idéologiques para-étatiques du régime pharmacopornographique. Dans cette situation, il ne nous reste que peu d’options : il est nécessaire de mettre en pratique un féminisme moléculaire et post-pornographique contre le féminisme d’Etat. Il faut se réapproprier la grammaire et les techniques dont le féminisme libéral nous a spoliés pour déclencher une nouvelle révolution pharmacopornographique.
Comme méthode contraceptive, le féminisme aurait pu décréter obligatoire la masturbation technique, promulguer la grève sexuelle des femmes hétérosexuelles et fertiles, le lesbianisme de masse, la ligature des trompes obligatoires dès l’adolescence, l’avortement libre et gratuit, voire l’infanticide, si nécessaire. Une scénario encore plus prometteur : il était possible, d’un point de vue biotechnologique, d’exiger l’administration à toutes les femmes en âge de tomber enceinte d’une microdose mensuelle de testostérone, à la fois comme contraceptif et comme méthode de régulation politique du genre. Cette mesure en aurait terminé une fois pour toutes avec a différence sexuelle et l’hégémonie hétérosexuelle. Cela ne signifie pas que les biofemmes (testostéronées) auraient cessé de baiser avec les biohommes, mais cet acte n’aurait pas pu continuer d’être interprété comme purement hétérosexuel. Il n’aurait eu aucune fin reproductrice ; en outre il n’aurait plus été question de la rencontre entre deux personnes de sexe opposé, mais plutôt de sexe gay avec possibilité de pénétration vaginale. Le féminisme de l’après-guerre aurait aussi pu s’intéresser à la gestion du corps des biohommes et déclarer d’intérêt national : la castration, l’homosexualité, l’utilisation obligatoire du préservatif, l’obturation du canal séminal, l’administration généralisée d’une androcure (qui diminue la production de testostérone chez les biohommes), etc. Oui, il y avait d’autres possibilités, mais le féminisme libéral a conclu un pacte avec le système pharmacopornographique.
Beatriz Preciado
Testo Junkie / 2008
* Le cas le plus représentatif de l’utilisation du féminisme comme technique étatique de contrôle de la prostitution et de la pornographie a eu lieu dans les années 90 au Canada, où l’Etat sollicite les rhétoriques féministes pour mettre en place sa politique abolitionniste.
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