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Archive journalière du 21 nov 2009

Yapou, bétail humain (2) / Shozo Numa

Je viens de décrire la manière dont les déjections des esclaves noirs et des Blancs sont traitées. Voyons maintenant comment elles sont recyclées. Une explication du système de la chaîne alimentaire tricolore semble nécessaire.
Cela peut se résumer de la manière suivante : l’urine du Blanc devient négrotar et ses fèces la panacée du Yapou. Les déjections de l’esclave servent d’aliment au Yapou. Le Yapou, quant à lui, ne produit aucun déchet.
Comment l’urine du Blanc devient-elle négrotar ? Lorsque lady Jansen fabriqua autrefois le premier alcool destiné aux esclaves noirs, celui-ci leur fut présenté comme un cocktail coupé d’un peu d’eau. Sa composition a changé. A présent, l’urine de Blanc est la base unique de l’alcool dont s’enivrent les esclaves. Un Blanc qui, par hypothèse, en absorberait n’en obtiendrait aucune ivresse. Il en est de même d’un esclave noir buvant l’urine d’un de ses congénères. Seule l’urine du Blanc produit un effet sur l’esclave.
Intéressons-nous maintenant à la composition de cette urine. Elle diffère peu de celle des hommes du XXe siècle. Seule, peut- être, la quantité d’urée provenant de l’azote de protéine a augmenté. Les Blancs d’EHS n’ont pas évolué selon les critères habituels de la biologie et ont conservé un organisme en tous points semblable aux hommes de la Grèce antique. Rien en eux n’a été artificiellement modifié : leur corps n’a pratiquement pas évolué depuis deux mille années.
L’explication de cette ivresse est plutôt à rechercher du côté des esclaves noirs. Ceux-ci, comme je l’ai noté, sont contraints d’absorber des purgatifs afin de faciliter l’évacuation de leurs fèces quand ils se servent du pommeau et ces produits contiennent un adjuvant d’alcoolo-rinozorigen. C’est une enzyme qui, passant par la paroi stomacale, finit par être évacuée en quantités infinitésimales dans leurs urines, urines qu’ils absorbent à nouveau selon le cycle que je viens de décrire, si bien que dans chaque estomac d’esclave noir subsiste une faible quantité du produit qui les rend très sensibles à l’alcool. Cet adjuvant, en subissant l’action de l’élément principal (CON2H4) qui compose l’urine, est décomposé par la solution d’ammoniaque (NH3) et forme un alcool (C2H5ON). C’est ainsi que la présence d’urine de Blancs dans l’estomac d’un esclave noir suffit à provoquer une réaction chimique induisant un effet similaire à l’absorption d’un puissant spiritueux. Toutefois, si par hypothèse les urines d’esclave ayant conservé à leur tour des traces d’alcoolo-rinozorigen devaient être absorbées par un esclave noir, elles ne lui procureraient aucune ivresse puisque la réaction s’annulerait dans l’estomac. Voilà pourquoi l’urine de Blanc seule saoule l’esclave noir.
La population d’esclaves noirs étant plusieurs milliers de fois supérieure à celle des Blancs, la quantité de leurs urines ne pourrait satisfaire à la demande de négrotar. C’est la raison pour laquelle le conduit urinaire (le conduit de négrotar) est raccordé au reduplicateur qui permet d’en augmenter la quantité sans en altérer ni la couleur, ni l’odeur, ni la composition. La production est ensuite stockée dans des cuves, avant d’être reversée dans des barriques – sur chaque barrique figure le nom du producteur (de l’urineur) et la date de fabrication – puis dispersée sur le marché des négrotars. L’urine de la plèbe, quant à elle, est utilisée pour la production d’alcool de seconde classe ne comportant ni appellation ni date de fabrication. Elle est conditionnée dans des bouteilles de verre.
Venons-en à notre seconde énigme. Pourquoi les selles de Blancs sont-elles une panacée réservée aux Yapous ? C’est une question à laquelle il me sera impossible de répondre sans considérer préalablement les données de la science de l’alimentation du bétail. Aussi je préfère d’abord répondre à la question suivante : comment les déjections d’esclaves font-elles office de nourriture pour les Yapous ?
Où sont acheminées les déjections rassemblées dans les conduits urinaire et physique ? Réponse : jusqu’aux pilk pipes. Or, les pilk pipes ne récoltent pas uniquement les déjections d’esclaves. Les déchets végétaux et de boucherie (les déchets provenant des ménages de Blancs et servant à la fabrication du négrotar sont habituellement traités séparément), les déchets papier, les bouses de vaches ou déjections de porcs, bref, la quasi-totalité des déchets du monde d’EHS se retrouvent dans ce qu’on peut appeler des collecteurs généraux d’égouts. Tous ces rebuts forment l’alimentation de base du bétail Yapou, désignée par le terme générique de Yapoo milk (pilk pilk) voire de yellow juice en raison de la couleur jaunâtre que prend l’ensemble des déchets une fois retraités. Passés au reduplicateur en vue de leur multiplication, ils servent d’aliment à l’ensemble des Yapous d’EHS (exception faite des Yapombs).
Les pilk pipes subdivisés en milliers de ramifications partant des charging rooms (ou collecteurs centraux) conduisent à des robinets auxquels viennent s’abreuver les bouches aspirantes situées à la pointe des queues d’hermins (ou vers pompe) s’échappant des anus de Yapous. Une prise par semaine permet d’assurer au Yapou sa ration alimentaire hebdomadaire. Le corps d’un Yapou ne différant extérieurement en rien de celui d’un être humain, la simplicité, pour ne pas dire la frugalité, de sa diète est sans égale. Car s’il s’agissait de l’engraisser ainsi qu’on le fait pour les porcs avec le seul produit des déjections humaines, l’opération exigerait des quantités autrement plus importantes.
Comment ce prodige est-il possible? Grâce aux propriétés du ver lombricoïde parasitant le corps du Yapou (pour ce qui est des meubles viandeux, la nutrition s’effectue extérieurement par un branchement au circulateur). Comme j’en ai fait mention précédemment (voir chapitre III, paragraphe 2), cet organisme issu d’une autre planète ne produit aucune déjection. En dehors du phénomène de sclérose apparaissant avec le temps à l’extrémité des segments de sa queue, les déchets incorporés par le ver sont entièrement décomposés par des enzymes et transformés en éléments nutritionnels. Autrement dit, une réaction chimique liée à l’action des enzymes produit l’aliment de ce métabolisme, le ver lombricoïde étant la cause de cette réaction physico-biologique générée par l’action des enzymes qui multiplient par cent la teneur calorique et la valeur nutritionnelle des éléments. Par exemple, les glucides, lipides et protéines dont les valeurs caloriques sont respectivement de 4,1, 9,2 et 5,6 calories passent respectivement à 410, 920 et 560 calories, récupérés à l’orifice d’un hermin implanté dans un estomac de Yapou. Un estomac ayant fait le plein de pilk ne contient qu’une valeur calorique globale de 200 calories. Le pilk est donc un aliment à faible teneur calorique et ce sera l’action du ver moteur (autre appellation de ce ver) qui permettra d’en accroître la valeur nutritive, la faisant passer de 30 à 3000 calories par jour, ce dernier chiffre correspondant de fait à une ration hebdomadaire. C’est ainsi que les Yapous obtiennent leur ration nutritive, à partir des déjections des esclaves noirs, des porcins ou des bovins, déchets qui n’ont par eux-mêmes qu’une faible teneur calorique. Autrement dit, l’ensemble des égouts d’EHS, ramifiés en milliards de canaux auxquels sont raccordés les Yapous, fait de ces égouts des centres de traitement des déchets dont provient l’alimentation du bétail.
Je reviens à présent à la question du traitement des fèces de Blancs. Comme je l’ai déjà expliqué, si le corps du Blanc n’a pas évolué depuis deux mille ans – et, partant, la composition de son urine –, son alimentation s’est quant à elle modifiée. Nous le constatons par la composition de ses selles. Les Blancs d’EHS ont besoin d’un apport journalier de 10 000 calories (en tenant compte des rejets trouvés dans les vomitoirs, on obtiendrait un chiffre trois fois supérieur mais je préfère m’en tenir à ce que le corps absorbe réellement). Les nobles, qui apprécient la bonne chère, ont des apports dépassant les 20 000 calories. Or, comme leur métabolisme est resté inchangé depuis deux mille ans – et peu importe la quantité d’exercice physique qu’ils peuvent fournir quotidiennement – une ration de 4 à 5000 calories leur suffirait amplement. Et pourtant, ils ingurgitent chaque jour entre 10 et 20 000 calories. Comme il ne s’agit cependant pas ici d’une simple question de quantité mais de qualité, il est rare que cela leur cause des troubles digestifs. Etant par ailleurs fort soucieux de leur condition physique et consommant force produits de beauté, une faible quantité de graisse s’accumule sous leur peau. Ils disposent donc d’un formidable appareil digestif qui leur permet d’évacuer ces surplus sans être obligés de les digérer. Seule une partie de ce qu’ils avalent est effectivement digérée, le reste passant en l’état dans leurs selles.
Les Blancs vont très fréquemment à la selle (environ trois fois par jour), dans des quantités qui ne varient guère par rapport au passé. Leur bile est restée amère et d’une coloration jaunâtre, comme autrefois. Pourtant, en étudiant l’organisme de l’intérieur, on remarquera que les cellules épithéliales prélevées sur les débris cellulaires de leurs intestins ou de leur paroi stomacale, inchangées en nature par rapport au passé, contiennent des valeurs énergétiques s’élevant à plusieurs milliers de calories en raison de la subsistance d’une part importante de nourriture non digérée. Ne fermentant pas grâce au prodigieux travail des intestins, ces fèces n’ont pas l’odeur nauséabonde qu’elles avaient autrefois, même si les habitants d’EHS ne manqueraient pas de les trouver désagréables malgré leur culture du parfum particulièrement développée si, par hypothèse, ils avaient à les renifler (ce qui est à exclure puisque leurs setteens sont dotés d’un aspirateur d’odeur). Un Japonais de l’époque anhistorique leur trouverait probablement une « odeur de miso » et, y posant la langue et comprenant à leur amertume que ce n’en est pas, il se convaincrait, si on le lui affirmait, d’avoir affaire à « une sorte de chocolat ». « C’est de la merde humaine », lui enseignerait-on, qu’il croirait à une blague ! Quoi qu’il en soit, outre leur goût, leur arôme et leur parfum, les selles de Blancs constituent un aliment très calorique.
Par rapport à l’élément nutritionnel principal composant le pilk fabriqué avec les déjections d’esclaves noirs, la selle de Blancs représente pour le Yapou une nourriture riche et luxueuse. Du simple point de vue de la quantité de calories contenues dans ses selles, un membre de la noblesse blanche pourrait nourrir plus d’une centaine de Yapous bruts. On dit que si une pièce de bétail yapou pouvait s’emplir la panse du seul jus des fèces d’un Blanc, elle serait capable de vivre et de travailler plus de six mois sans autre apport nutritionnel. C’est dire combien les selles de Blancs sont incomparablement plus nourrissantes que celles des esclaves noirs. Voilà la raison pour laquelle elles sont pour les Yapous une panacée, un aliment miraculeux quoique les occasions qui leur sont offertes d’en jouir soient excessivement rares.
Les propriétés curatives des selles de Blancs ne tiennent cependant pas uniquement à leur teneur en calories. Elles sont « un don des dieux », ce qu’illustre cette formule décrivant l’effet psycho-curatif que peut avoir leur absorption. Voilà pourquoi elles passent auprès du Yapou pour une panacée. Nul n’en ignore l’existence, de même que celle de l’élixir qui « l’assaisonne » (l’élixir est le produit du mélange dans l’estomac des Blancs des diverses sauces, épices ou adjuvants gustatifs présents sur leurs tables). Celui-ci est amer mais il a un effet curatif remarquable sur des organismes accoutumés à une alimentation pauvre. (Propriété évoquée dans le proverbe yapounais affirmant : « il n’est de remède qu’amer ».)
Ce sont d’abord des produits pharmaceutiques injectables que l’on fabriqua à partir des selles de Blancs acheminées par le conduit physique jusqu’aux usines souterraines de la société du Y rouge et de ses filiales où elles étaient multipliées après passage au reduplicateur. Injectables car peu de Yapous au service des Blancs conservaient l’usage de leur bouche pour la médication. Cette forme de conditionnement leur était donc destinée en priorité. Le reste, une fois déshydraté, prenant une forme solide jaunâtre, était utilisé pour la confection de comprimés dont l’absorption ne générait aucun déchet. Les Yapous, qui avaient conservé l’usage de leur bouche, faisait fondre ces comprimés sur leur palais. Quelle que fût leur forme, ces remèdes avaient au début un but thérapeutique et l’invention du reduplicateur, autorisant une augmentation des quantités, leur permit d’être employés en médecine préventive. Ils restent toutefois des produits de luxe qu’on désigne du terme de mixor (1).
D’après ce que je viens d’expliquer, multipliées au reduplicateur et conservant leurs caractéristiques d’origine, les déjections de Blancs sont donc essentiellement destinées aux esclaves et aux Yapous. Pourtant, à titre exceptionnel, ces derniers peuvent bénéficier de déjections brutes. Elles ont alors une appellation particulière : warer « sainte Eau » (de warer > water) (alcool divin – nectar – amarita) et « saint Corps » (body) (ambrosia > ambroisie). Bref, lorsque l’emploi d’un setteen est impossible, on donne alors (en pissant ou déféquant debout) son urine à boire ou ses selles à manger à un esclave (voir chapitre XXVIII, paragraphe 3), mais je réserve des explications plus précises concernant ces cas exceptionnels lorsque l’occasion de les aborder en situation se présentera et je préfère m’en tenir pour l’instant à un survol général.
Une chaîne alimentaire tricolore matérialise donc la structure sociale d’EHS. Les matières brutes de Blancs tombent dans la bouche du Noir ou du Yapou et celles du Noir directement dans l’anus du bétail jaune. Mais l’ordre induit par les valeurs propres aux trois couleurs (blanc, noir, jaune) ne se borne pas à illustrer cette socie ́té. Il est le principe d’un « monde sans toilettes » (no lavatory world) ayant résolu, grâce aux Yapous (qui ignorent la défécation et digèrent tous les rebuts), la question du recyclage des déjections, l’incommodité et les problèmes hygiéniques que connaissaient les hommes de l’époque anhistorique. Le setteen, premier représentant de bétail lavator (impur), est le symbole vivant de ce système. Recevoir directement des dieux la sainte Eau ou le saint Corps représente pour un Yapou un privilège dont il tire une grande fierté.
3 – La standardisation du setteen
Les mœurs concernant l’usage du setteen sur EHS sont anciennes et, considérant les premières mentions qui en furent faites, on peut dire qu’ils sont apparus il y a plus de mille cinq cents ans. Désormais, sur chaque planète de l’Empire, il n’existe pas une seule demeure qui ne soit pourvue de setteen, chaque pièce, chaque vaisseau, chaque lieu de rassemblement en est équipé. Pourtant, une longue période de transition fut nécessaire avant que leur usage ne se répande et que n’apparaissent les trois fonctions standard qui ont perfectionné les premiers modèles.
La décision de réserver les déjections humaines à l’alimentation du bétail est bien antérieure à la Révolution féminine. Cette politique coïncide avec la période d’expansion d’Altaïr, autrement dit de la galaxie Alpha Aquire. D’après C. Spack, qui le mentionne dans son ouvrage Origines d’EHS, à l’occasion de la colonisation de Gonda, troisième planète de la galaxie Alpha, des toilettes avaient été installées dans des cupolas en raison de l’atmosphère particulière qui régnait sur cette planète. Les hommes désireux d’accomplir la nuit certains besoins étaient donc obligés de marcher longtemps, ce qui les ennuyait tant et fort qu’ils commencèrent à réfléchir au moyen d’utiliser les Yapous comme pots de chambre, autrement dit sans avoir à quitter leur couche. Le concept du setteen e ́tait né. A la différence des toilettes pour femmes, celles destinées aux hommes ne demandaient pas de forme particulière, si bien que la bouche et les lèvres d’un Yapou pouvaient aisément répondre à cet emploi, pourvu qu’on en eût un sous la main. En dix ans, la pratique en vigueur sur Gonda se répandit à l’ensemble de l’Empire. Bien sûr, des voix s’élevèrent pour réclamer que l’on pût s’en servir également de jour et pour déféquer. Les cuvettes et autres urinoirs disparurent progressivement pour laisser place à des rangées d’enfants yapou ligotés, que leur petite taille mettait à hauteur des appendices mâles. Les hommes satisfaisaient leurs petites envies du matin, debout et dans leur bouche. Quant aux Yapous destinés à la grosse commission – ceux dotés d’une large bouche –, on les allongeait sous la cuvette d’une toilette sur laquelle l’usager venait s’asseoir. C. Spack nous dit enfin que c’est à l’élégant lord Dripard (lointain ancêtre de William) – on disait qu’il était la réincarnation de Pétrone – que revient l’honneur de passer pour l’inventeur du système qui fit des Yapous les consommateurs de l’ensemble des déjections humaines.
La Révolution féminine passa ensuite par là et les Yapous furent utilisés par les femmes, de la même façon dont procédaient les hommes, appelée sunny stand (se tenir au soleil) et qui nécessita la mise en élevage de spécimens spéciaux, les bouches et estomacs des enfants yapous ne suffisant plus à remplir cette tâche. Cette époque voit aussi la tentative de lady Jansen d’offrir son cocktail aux esclaves noirs, essai qui conduisit rapidement à la fabrication en série du breuvage et à la diffusion du vaccum sewer. Dans sa forme primitive, la chaîne alimentaire tricolore a donc une histoire longue de plus de mille trois cents ans, mettant peu à peu en évidence la nécessité de la mise en élevage de bestiaux dont l’existence assurerait la cohérence de la structure sociale, conduisant à la disparition des cuvettes et autres toilettes en porcelaine. L’appellation setteen apparut également à cette période.
La chirurgie chromosomique n’étant pas encore suffisamment développée, on ne pouvait obtenir de setteen performant qu’au moyen d’un long processus de sélection naturelle du bétail, ce qui interdisait la fabrication d’un modèle standard. L’apparition de ce type de setteen doté d’une lunette ou d’un long cou capable de satisfaire à l’évacuation des urines tout en restant couché, ne serait possible que par la transformation de modèles destinés en premier lieu à devenir cunnilingers ou penilingers. La production de setteens pourvus d’un cou de plusieurs dizaines de centimètres serait le fruit du travail acharné des généticiens et demanderait plusieurs siècles. Le développement d’un modèle incliné, autrement dit du sabot gibbosite sur lequel s’assoit l’usager et qui remplace avantageusement l’ancienne cuvette à lunette prendrait de longues années de recherches ponctuées d’innombrables échecs.
Trois modèles, le nain, le sabot et le long cou (chacun n’étant réellement performant que pour une seule fonction) furent donc développés en parallèle. Ils se cantonnaient à un usage domestique car il restait mal aisé de les emporter avec soi. La demande de la part de la classe supérieure d’un modèle capable de combiner les trois types de setteen stimula la recherche en chirurgie chromosomique. Le premier prototype ne vit pourtant le jour que huit cents ans plus tard. Il combinait curieusement les différents modèles. Ce premier exemplaire fut offert à Magaret III, qui régnait sur l’Empire et qui le réserva à son usage personnel. Or, comme Magaret aimait à se faire lire des poèmes de Omar Gaiham, courtisan de l’époque anhistorique, pendant qu’elle procédait à ses besoins, Omar devint peu à peu l’appellation – toujours en vigueur – pour désigner à la cour un setteen (le terme yapounais de o-marou – pot de chambre – trouve également ici son origine). Quoi qu’il en soit, la réputation de ce modèle standard dont la reine avait fait un de ses objets favoris fut assurée dès lors que tout un chacun fut convaincu du confort fonctionnel qu’il offrait. S’il fut d’abord un objet de luxe, voué et destiné uniquement à la noblesse, son usage se répandit par la suite jusque dans la plèbe.
Ce setteen standard, bétail lavator, équipa en premier lieu les appartements des nobles. Il était possible de lui adjoindre une fonction télépathe et de modifier la forme de sa tête ou de sa langue (je laisse le lecteur imaginer de quelle façon, si on songe à la manière dont la tête d’un cunnilinger peut être « aménagée » comme je l’ai expliqué dans le chapitre II). Les gravures sur peau qui les décoraient exprimaient la fantaisie de leur possesseur et il n’est pas exagéré de dire qu’il n’existait pas dans l’Empire deux setteens de nobles identiques. Inversement, on considérait que les setteens destinés à un usage collectif devaient rester neutres et fonctionnels, si bien que le prototype qui devait devenir le setteen standard s’inspira de ceux-ci. Breveté et répondant à un cahier des charges exigeant, il fut bientôt produit en série.
La forme du setteen standard est extrêmement singulière. On se l’imaginera aisément en se figurant un nain doté d’un sabot inversé d’où partirait un long cou. D’une taille pouvant atteindre un mètre cinquante lorsqu’il étire complètement le cou (en réalité, on le verra jamais dans une telle position) et plus couramment d’un mètre dix (comprenant une tête de vingt centimètres, des jambes de quarante centimètres, un tronc – de la tête aux fesses – de cinquante-cinq centimètres, quarante-neuf centimètres du départ du cou aux fesses, et d’un cou pouvant à lui seul atteindre quarante-cinq centimètres mais restant replié dans son logement en temps normal) avec un tour de bedaine d’un mètre trente. Ses robustes jambes d’à peine quarante centimètres forment deux parties potelées séparées aux genoux, ses pieds sont larges et charnus. Le corps, supporté par ses deux membres, est si replet qu’on pourrait le croire obèse alors que cet état répond à un savant calcul destiné à le garder opérationnel pour un usage consécutif de vingt personnes. Il est en conséquence doté d’un estomac élargi, occupant l’espace libéré par l’ablation du poumon droit. Sa contenance a été poussée à douze vessies (de vesica, unité de mesure de l’estomac d’un setteen).
La transformation des organes internes ne fut pas la condition nécessaire de la mise au point des setteens. En tant que meubles vivants, il fallait évidemment qu’on les raccordât à un circulateur. Leur trachée artère fut donc modifiée pour qu’elle ne passât plus par la gorge mais reliât directement deux ouvertures – sortes de branchies – situées à la base arrière du cou au poumon gauche. Outre ces aménagements internes, un double sabot gibbosite fut ménagé dans leur dos, cette incurvation symétrique abritant deux dégagements par lesquels le setteen respire et sent. Le but de cette dernière transformation était de réserver leur long cou à la fonction « alimentaire » et d’éviter des encombrements éventuels s’il avait dû également respirer. Les fosses nasales devenues inutiles, il fut possible d’y implanter deux puissants petits séchoirs à basse température.
Les bras sont fins et courts. Les doigts des mains souples et petits, dépourvus d’ongles ainsi que ceux des cunnilingers. L’intérieur du sabot gibbosite offre à leur long cou une place où s’enrouler, la tête reposant au-dessus. Lors de la grosse commission, cette dernière s’incline davantage vers l’arrière, s’enfonçant à l’intérieur du sabot pour s’ouvrir largement vers le ciel. Lors de la petite commission, le cou se tend. Cette tête, vulgairement appelée pissotière, si l’on fait abstraction du développement anormal de la partie buccale, a conservé sa paire d’yeux et des narines. Elle est chauve, afin d’éviter certains désagréments pendant l’usage. Quant à la bouche qui, largement ouverte, offrirait un espace d’un diamètre d’environ dix centimètres, elle forme un bol doté de lèvres épaisses et extensibles qui se tendent quand une femme veut uriner. Cette caractéristique, lèvres aspirantes à l’extérieur, absorbantes à l’intérieur, permet ainsi à la bouche d’aspirer intégralement le liquide sans en perdre une goutte et d’éviter la propagation d’odeurs. Elle offre ainsi une parfaite étanchéité pendant l’usage. L’intérieur de la cavité buccale est également vaste. Seules les dents du fond, réservées à la mastication, ont été conservées, les autres ont été arrachées. La langue a un volume remarquable, le double de celle d’un être humain, plus large et plus longue, et, une fois qu’elle a nettoyé la partie concernée, elle se retire pour laisser place à un jet d’air chaud propulsé par les narines qui va assécher méat ou anus. Ce dispositif, à l’œuvre également dans les pommeaux réservés aux esclaves noirs, a rendu obsolète le papier qui a disparu d’EHS, ainsi que le mot « toilettes ».
Les setteens constituent donc une variété de bétail élevé sur EHS. Ils sont manufacturés sur Aporto, neuvième planète de la constellation Elisa dans la galaxie Epsilon. Cette planète satisfait intégralement à la demande de l’Empire. Le lecteur aura probablement l’occasion de voir surgir de temps en temps cette espèce de meubles vivants qui mérite toute notre affection.
Shozo Numa
Yapou, bétail humain / 1956-1959 / 1970
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1 « Si le terme de négrotar est un mot formé de négro (esclave noir) et de nectar (alcool divin), l’origine du terme mixor reste peu claire et a donné lieu à plusieurs explications. Etant donné que les liquides circulant dans les conduits physiques diffèrent de ceux circulant dans les conduits urinaires et qu’ils se mélangent, dans l’estomac des setteens, avec leurs sucs digestifs, il se pourrait que le sens de mixor vienne du préfixe mixo-, qui a lui-même le sens de mélange. Une seconde thèse soutient que le liquide fécal ayant un aspect mixte (liquide et granuleux), le terme proviendrait du préfixe myxo-. Une autre explication voudrait que ce terme provienne d’un emploi fautif de mictio (urine), confondant urine et fèces. Enfin, selon une dernière interprétation, ce mot serait la transformation du terme de mi-kuso (honorable merde) présent en langue yapounaise (et d’après cette explication, le miso serait une transformation de mi-kuso d’où « miso/kuso… » etc.). »
D’après S. Heiward, Grand dictionnaire étymologique.




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