Marton
J’apporte une triste nouvelle :
Amis, avec la nuit nos plaisirs vont finir.
Agathe, la cloche t’appelle,
Et le ciel commence à blanchir.
Soeur Agathe
Adieu donc, vigoureux athlètes,
Objets de nos brûlants désirs.
Ramenez quelquefois dans ces tristes retraites
L’amour, les jeux et les plaisirs.
Tandis que vingt beautés faciles,
Clitandre, à tes transports céderont tour à tour,
Et qu’écolières dociles,
Cher Père, à tes besoins s’offriront chaque jour,
Entre ces murs épais pour jamais resserrée,
Je verrai dans les pleurs mes jours se consumer,
Si, touché des tourments d’une fille égarée,
Vous ne venez les ranimer.
Le Jésuite
Non, je ne reçois point un adieu si funeste.
Pour fêter encor vos appas,
Belles, un seul instant nous reste :
Reprenons nos tendres ébats.
Marton
Avant de commencer une joute nouvelle,
Rassurez nos coeurs délicats ;
Chers amis, ne nous trompez pas :
Jurez qu’au moindre avis, plein d’une ardeur fidèle,
Vous revolerez dans nos bras.
Clitandre, le Jésuite
Nous le jurons tous les deux.
Clitandre
Que le dieu de Cythère
Nous fasse éprouver sa colère,
Si vous brûlez pour des ingrats !
Mais profitons du temps, Marton, sois moins sévère :
A l’instant que ton jeune amant
Au temple des plaisirs entrera par devant,
Ouvre l’autre porte au bon Père ;
Tandis que ton doigt libertin
De la fringuante soeur fourragera les charmes,
L’aimable nonne, de sa main,
Par un chatouillement badin,
Hâtera l’effet de nos armes.
Le Jésuite
Cher Clitandre, que tardez-vous ?
De sa grotte Vénus vous accorde l’entrée.
Marton, recevez sans courroux
Ce trait enflammé, dont les coups
Portent de nouveaux feux dans votre âme enivrée.
Frappons… frappons à l’unisson
La voluptueuse Marton ;
Redoublons son tendre délire ;
A la fougue de nos désirs,
Que ses sens ne puissent suffire :
Faisons-la succomber sous le poids des plaisirs.
Clitandre
Que tes chatouillements, Agathe,
Augmentent ma félicité !
Soeur Agathe
Marton, que ta main délicate,
Par sa folâtre activité,
Dans mes sens agités répand de volupté !
Marton
Eh ! vite… cher ami… je me meurs… je me pâme…
Par des torrents délicieux
Apaisez l’ardeur qui m’enflamme…
Je sens… ah ! quel plaisir ! vous m’inondez tous deux.
Soeur Agathe
Arrête-toi, Marton, je n’y saurais suffire.
Quel doux frémissement !
Marton
Quels coups impétueux !
Clitandre
Trémoussements voluptueux !
Le Jésuite
Douce langueur… fougueux délire !
Nous goûtons le bonheur des dieux.
Clitandre
Reprenons nos habits. Adieu, filles charmantes,
Dont l’aimable naïveté
Efface les attraits de ces froides amantes
Que guide le caprice ou la cupidité.
Belles sans art et sans parure,
Tendres avec sincérité,
Vous savez égayer une austère clôture,
Et vous suivez en liberté
Le doux penchant de la nature.
Que je quitte à regret ce séjour enchanté !
Dans le monde, l’amour est un rude esclavage ;
Les sentiments et le langage,
Tout respire la fraude et l’infidélité ;
La pudeur d’une femme est un masque hypocrite ;
Dans ses plus doux transports règne la fausseté ;
C’est dans le cloître seul qu’habite
La véritable volupté.
Auteur anonyme
les Plaisirs du cloître / in le Théâtre érotique au XVIII° siècle
autre scène à lire sur le Silence qui parle