On nous fit visiter des cafés et des restaurants juifs. Les juifs, à notre entrée dans ces établissements, comprirent immédiatement que nous étions des policiers, ils « vidèrent très rapidement les lieux ».
Cependant, quelques-uns furent interpellés et durent exhiber leur pièce d’identité, et de plus fournir les motifs de leur présence dans ces établissements, dans les heures dites “ creuses ”. Car, à Berlin, tous les juifs ne doivent pas rester oisifs et doivent avoir une occupation. Tout commerce leur est interdit, et ils sont en principe occupés à de durs travaux.
De plus les juifs n’ont pas le droit d’emprunter aucun moyen de transport public, à moins que la distance entre leur lieu de travail et leur domicile soit supérieure à 7 kilomètres. Les juifs de Berlin n’ont accès dans aucune salle de spectacle, dans aucun établissement public, dans aucune grande ou principale artère. En somme, on ne rencontre à Berlin des juifs que dans les petites rues et encore faut-il qu’ils empruntent la chaussée. Ainsi, on les rencontre marchant rapidement, tête baissée, comme des personnes craintives et honteuses.
Enfin, leur carte d’alimentation et leurs tickets de rationnement comportent la lettre J, et ils ne peuvent faire leurs achats qu’entre 15 heures et 17 heures, et dans les magasins qui leur sont désignés.
Dans un restaurant juif, nous avons pu constater que le menu autorisé ce jour, qui était un samedi, jour du Sabbat, consistait en une sorte de soupe de choux et de betteraves, et, comme légumes, des carottes, des choux rouges et des betteraves rouges alors que ce jour-là, dans presque tous les restaurants berlinois, il y avait du poisson de la Baltique.
Il reste encore à Berlin, nous ont confié les inspecteurs, 63 000 juifs allemands, mais, ajoutèrent-ils, chaque jour des convois de juifs sont formés à destination de l’Est, et nous pensons, dirent-ils encore, qu’en 1943, il ne restera plus un seul juif à Berlin.
Mais où les conduit-on, demandais-je.
Dans le gouvernement général [territoire polonais occupé par l’Allemagne, ndlr], me répondit-on. Alors, dis-je, le gouvernement allemand n’aurait-il pas l’intention de créer dans le gouvernement général un ghetto universel.
Oh, non, me répondit-on, ce n’est pas l’intention du chancelier Hitler, mais au contraire celle de la destruction complète et à jamais de la race. Dans le Gouvernement général, les juifs ne vivent pas longtemps.
Louis Sadosky, brigadier-chef des RG
Berlin 1942, le voyage d’un collabo au coeur de la Gestapo / CNRS, 2009
présenté par Laurent Joly
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