Le songe de l’oncle / Fedor Dostoïevski

Trois ans se sont passés depuis ce terrible épisode des annales mordassoviennes. A la suite du scandale de la mort du Prince, on apprit que la Villa de Maria Alexandrovna était mise en vente. Un an passa, puis un autre et Maria Alexandrovna fut presque entièrement oubliée.
Je me suis installé à Petersbourg où j’ai obtenu une place. Voilà un an je suis tombé amoureux, j’ai fait une demande, essuyé un autre refus, et faute de pouvoir le digérer, j’ai demandé une place dans une expédition qu’on envoyait dans l’une des régions les plus lointaine de notre infinie patrie.
C’est là que je la revis… Le gouverneur en chef avait invité tous les fonctionnaires à un bal qu’il donnait chez lui. Il fallait saluer son épouse. C’est Zina qui se tenait devant moi, dans une robe de bal splendide, ornée de diamants, hautaine et fière.
Elle ne me reconnut pas. Son regard glissa nonchalamment sur mon visage et se porta tout de suite sur quelqu’un d’autre. Mon chapeau à la main j’entrais dans la grande salle, me sentant, je ne sais pourquoi, blessé, voire humilié. Je demeurais sur place, adossé à une colonne pendant toute la durée du bal, suivant Zina du regard. Comme par hasard, c’était une salle à colonnes. Malgré toutes mes fantaisies, mes poses extraordinaires, mon air désenchanté, Zina ne me remarqua absolument pas.
Le lendemain matin des ordres arrivèrent pour une nouvelle mission. Je me sentis l’âme légère en quittant la ville. Dans l’espace infini et désertique, la neige s’étalait comme une nappe éblouissante. Tout au bout, au point où le ciel touche à la terre, une forêt faisait tache noire. Les chevaux hennissants galopaient dans un éblouissement de neige. Les grelots tintaient. Au fond de mon traîneau je me mis à penser, puis à rêver, puis à dormir paisiblement. Je me réveillais au troisième relais de poste frais et dispos… je pensais à tout autre chose.
Fedor Dostoïevski
le Songe de l’oncle / 1855-1859
Par le Collectif Hic et Nunc
A la Cartoucherie, Théâtre de l’Epée de Bois du 23 septembre au 18 octobre 2009
dans le cadre du festival Un Automne à tisser
sous le parrainage de Jean-Claude Penchenat
Adaptation et mise en scène Stanislas Grassian
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