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Archive journalière du 13 sept 2009

Monadologie (2) / Gottfried Wilhelm Leibniz

51. Mais dans les substances simples ce n’est qu’une influence idéale d’une monade sur l’autre qui ne peut avoir son effet que par l’intervention de Dieu, en tant que dans les idées de Dieu une monade demande avec raison que Dieu, en réglant les autres dès le commencement des choses, ait égard à elle. Car, puisqu’une monade créée ne saurait avoir une influence physique sur l’intérieur de l’autre, ce n’est que par ce moyen que l’une peut avoir de la dépendance de l’autre.
52. Et c’est par là qu’entre les créatures les actions et passions sont mutuelles. Car Dieu, comparant deux substances simples, trouve en chacune des raisons qui l’obligent à y accommoder l’autre ; et par conséquent ce qui est actif à certains égards, est passif suivant un autre point de considération : actif en tant que ce qu’on connaît distinctement en lui sert à rendre raison de ce qui se passe dans un autre ; et passif en tant que la raison de ce qui se passe en lui se trouve dans ce qui se connaît distinctement dans un autre.
53. Or, comme il y a une infinité d’univers possibles dans les idées de Dieu et qu’il n’en peut exister qu’un seul, il faut qu’il y ait une raison suffisante du choix de Dieu qui le détermine à l’un plutôt qu’à l’autre.
54. Et cette raison ne peut se trouver que dans la convenance, ou dans les degrés de perfection que ces mondes contiennent, chaque possible ayant droit de prétendre à l’existence à mesure de la perfection qu’il enveloppe.
55. Et c’est ce qui est la cause de l’existence du meilleur, que la sagesse fait connaître à Dieu, que sa bonté le fait choisir, et que sa puissance le fait produire.
56. Or cette liaison ou cet accommodement de toutes les choses créées à chacune et de chacune à toutes les autres, fait que chaque substance simple a des rapports qui expriment toutes les autres, et qu’elle est par conséquent un miroir vivant perpétuel de l’univers.
57. Et, comme une même ville regardée de différents côtés paraît tout autre, et est comme multipliée perspectivement, il arrive de même que par la multitude infinie des substances simples, il y a comme autant de différents univers, qui ne sont pourtant que les perspectives d’un seul selon les différents points de vue de chaque monade.
58. Et c’est le moyen d’obtenir autant de variété qu’il est possible, mais avec le plus grand ordre qui se puisse, c’est−à−dire c’est le moyen d’obtenir autant de perfection qu’il se peut.
59. Aussi n’est−ce que cette hypothèse, que j’ose dire démontrée, qui relève comme il faut la grandeur de Dieu ; c’est ce que Monsieur Bayle reconnut, lorsque dans son Dictionnaire, article Rorarius, il y fit des objections, où même il fut tenté de croire que je donnais trop à Dieu, et plus qu’il n’est possible. Mais il ne put alléguer aucune raison pour quoi cette harmonie universelle, qui fait que toute substance exprime exactement toutes les autres par les rapports qu’elle y a, fût impossible.
60. On voit d’ailleurs dans ce que je viens de rapporter, les raisons a priori pourquoi les choses ne sauraient aller autrement. Parce que Dieu en réglant le tout a eu égard à chaque partie, et particulièrement à chaque monade, dont la nature étant représentative, rien ne la saurait borner à ne représenter qu’une partie des choses, quoiqu’il soit vrai que cette représentation n’est que confuse dans le détail de tout l’univers, et ne peut être distincte que dans une petite partie des choses, c’est−à−dire dans celles qui sont ou les plus prochaines, ou les plus grandes par rapport à chacune des monades autrement chaque monade serait une Divinité. Ce n’est pas dans l’objet, mais dans la modification de la connaissance de l’objet, que les monades sont bornées. Elles vont toutes confusément à l’infini, au tout ; mais elles sont limitées et distinguées par les degrés des perceptions distinctes.
61. Et les composés symbolisent en cela avec les simples. Car, comme tout est plein, ce qui rend toute la matière liée, et comme dans le plein tout mouvement fait quelque effet sur les corps distants, à mesure de la distance, de sorte que chaque corps est affecté non seulement par ceux qui le touchent, et se ressent en quelque façon de tout ce qui leur arrive, mais aussi par leur moyen se ressent encore de ceux qui touchent les premiers, dont il est touché immédiatement : il s’ensuit que cette communication va à quelque distance que ce soit. Et par conséquent tout corps se ressent de tout ce qui se fait dans l’uni vers ; tellement que celui qui voit tout pourrait lire dans chacun ce qui se fait partout et même ce qui s’est fait ou se fera en remarquant dans le présent ce qui est éloigné, tant selon les temps que selon les lieux : sumpnoia panta disait Hippocrate. Mais une âme ne peut lire en elle−même que ce qui y est représenté distinctement, elle ne saurait développer tout d’un coup tous ses replis, car ils vont à l’infini.
62. Ainsi quoique chaque monade créée représente tout l’univers, elle représente plus distinctement le corps qui lui est affecté particulièrement et dont elle fait l’entéléchie : et comme ce corps exprime tout l’univers par la connexion de toute la matière dans le plein, l’âme représente aussi tout l’univers en représentant ce corps, qui lui appartient d’une manière particulière.
63. Le corps appartenant à une monade, qui en est l’entéléchie ou l’âme, constitue avec l’entéléchie ce qu’on peut appeler un vivant, et avec l’âme ce qu’on appelle un animal. Or ce corps d’un vivant ou d’un animal est toujours organique ; car toute monade étant un miroir de l’univers à sa mode, et l’univers étant réglé dans un ordre parfait, il faut qu’il y ait aussi un ordre dans le représentant, c’est−à−dire dans les perceptions de l’âme, et par conséquent dans le corps suivant lequel l’univers y est représenté.
64. Ainsi chaque corps organique d’un vivant est une espèce de machine divine, ou d’un automate naturel, qui surpasse infiniment tous les automates artificiels. Parce qu’une machine faite par l’art de l’homme n’est pas machine dans chacune de ses parties. Par exemple : la dent d’une roue de laiton a des parties ou fragments qui ne nous sont plus quelque chose d’artificiel et n’ont plus rien qui marque de la machine par rapport à l’usage où la roue était destinée. Mais les machines de la nature, c’est−à−dire les corps vivants, sont encore machines dans leurs moindres parties, jusqu’à l’infini. C’est ce qui fait la différence entre la Nature et l’Art, c’est−à−dire entre l’art Divin et le nôtre.
65. Et l’auteur de la nature a pu pratiquer cet artifice divin et infiniment merveilleux, parce que chaque portion de la matière n’est pas seulement divisible à l’infini, comme les anciens ont reconnu, mais encore sous−divisée actuellement sans fin, chaque partie en parties, dont chacune a quelque mouvement propre, autrement il serait impossible que chaque portion de la matière pût exprimer tout l’univers.
66. Par où l’on voit qu’il y a un monde de créatures, de vivants, d’animaux, d’entéléchies, d’âmes dans la moindre partie de la matière.
67. Chaque portion de la matière peut être conçue comme un jardin plein de plantes, et comme un étang plein de poissons. Mais chaque rameau de la plante, chaque membre de l’animal, chaque goutte de ses humeurs est encore un tel jardin ou un tel étang.
68. Et quoique la terre et l’air interceptés entre les plantes du jardin, ou l’eau interceptée entre les poissons de l’étang, ne soit point plante, ni poisson, ils en contiennent pourtant encore, mais le plus souvent d’une subtilité à nous imperceptible.
69. Ainsi il n’y a rien d’inculte, de stérile, de mort dans l’univers, point de chaos, point de confusion qu’en apparence ; à peu près comme il en paraîtrait dans un étang à une distance dans laquelle on verrait un mouvement confus et grouillement, pour ainsi dire, de poissons de l’étang, sans discerner les poissons mêmes.
70. On voit par là que chaque corps vivant a une entéléchie dominante qui est l’âme dans l’animal ; mais les membres de ce corps vivant sont pleins d’autres vivants, plantes, animaux, dont chacun a encore son entéléchie, ou son âme dominante.
71. Mais il ne faut point s’imaginer avec quelques−uns, qui avaient mal pris ma pensée, que chaque âme a une masse ou portion de la matière propre ou affectée à elle pour toujours, et qu’elle possède par conséquent d’autres vivants inférieurs destinés toujours à son service. Car tous les corps sont dans un flux perpétuel comme des rivières ; et des parties y entrent et en sortent continuellement.
72. Ainsi l’âme ne change de corps que peu à peu et par degrés, de sorte qu’elle n’est jamais dépouillée tout d’un coup de tous ses organes ; et il y a souvent métamorphose dans les animaux, mais jamais métempsychose ni transmigration des âmes il n’y a pas non plus des âmes tout à fait séparées, ni de génies sans corps. Dieu seul en est détaché entièrement.
73. C’est ce qui fait aussi qu’il n’y a jamais ni génération entière, ni mort parfaite prise à la rigueur, consistant dans la séparation de l’âme. Et ce que nous appelons générations sont des développements et des accroissements ; comme ce que nous appelons morts sont des enveloppements et des diminutions.
74. Les philosophes ont été fort embarrassés sur l’origine des formes, entéléchies, ou âmes, mais aujourd’hui, lorsqu’on s’est aperçu, par des recherches exactes faites sur les plantes, les insectes et les animaux, que les corps organiques de la nature ne sont jamais produits d’un chaos ou d’une putréfaction ; mais toujours par les semences, dans lesquelles il y avait sans doute quelque préformation ; on a jugé que non seulement le corps organique y était déjà avant la conception, mais encore une âme dans ce corps, et en un mot l’animal même ; et que par le moyen de la conception cet animal a été seulement disposé à une grande transformation pour devenir un animal d’une autre espèce. On voit même quelque chose d’approchant hors de la génération, comme lorsque les vers deviennent mouches, et que les chenilles deviennent papillons.
75. Les animaux, dont quelques−uns sont élevés au degré des plus grands animaux par le moyen de la conception, peuvent être appelés spermatiques ; mais ceux d’entre eux qui demeurent dans leur espèce, c’est−à−dire la plupart, naissent, se multiplient et sont détruits comme les grands animaux, et il n’y a qu’un petit nombre d’élus, qui passe à un plus grand théâtre.
76. Mais ce n’était que la moitié de la vérité : j’ai donc jugé que si l’animal ne commence jamais naturellement, il ne finit pas naturellement non plus ; et que non seulement il n’y aura point de génération, mais encore point de destruction entière, ni mort prise ~ la rigueur. Et ces raisonnements faits a posteriori et tirés des expériences s’accordent parfaitement avec mes principes déduits a priori comme ci− dessus.
77. Ainsi on peut dire que non seulement l’âme, miroir d’un univers indestructible, est indestructible, mais encore l’animal même, quoique sa machine périsse souvent en partie, et quitte ou prenne des dépouilles organiques.
78. Ces principes m’ont donné moyen d’expliquer naturellement l’union ou bien la conformité de l’âme et du corps organique. L’âme suit ses propres lois et le corps aussi les siennes ; et ils se rencontrent en vertu de l’harmonie préétablie entre toutes les substances, puis qu’elles sont toutes les représentations d’un même univers.
79. Les âmes agissent selon les lois des causes finales par appétitions, fins et moyens. Les corps agissent selon les lois des causes efficientes ou des mouvements. Et les deux règnes, celui des causes efficientes et celui des causes finales, sont harmoniques entre eux.
80. Descartes a reconnu que les âmes ne peuvent point donner de la force aux corps, parce qu’il y a toujours la même quantité de force dans la matière. Cependant il a cru que l’âme pouvait changer la direction des corps. Mais c’est parce qu’on n’a point su de son temps la loi de la nature qui porte encore la conservation de la même direction totale dans la matière. S’il l’avait remarquée, il serait tombé dans mon système de l’harmonie préétablie.
81. Ce système fait que les corps agissent comme si, par impossible, il n’y avait point d’âmes ; et que les âmes agissent comme s’il n’y avait point de corps, et que tous deux agissent comme si l’un influait sur l’autre.
82. Quant aux Esprits ou âmes raisonnables, quoique je trouve qu’il y a dans le fond la même chose dans tous les vivants et animaux, comme nous venons de dire, savoir, que l’animal et l’âme ne commencent qu’avec le monde, et ne finissent pas non plus que le monde, − il y a pourtant cela de particulier dans les animaux raisonnables, que leurs petits animaux spermatiques, tant qu’ils ne sont que cela, ont seule ment des âmes ordinaires ou sensitives ; mais dès que ceux qui sont élus, pour ainsi dire, parviennent par une actuelle conception à la nature humaine, leurs âmes sensitives sont élevées au degré de la raison et à la prérogative des esprits.
83. Entre autres différences qu’il y a entre les âmes ordinaires et les esprits, dont j’en ai déjà marqué une partie, il y a encore celle−ci : que les âmes en général sont des miroirs vivants ou images de l’univers des créatures ; mais que les esprits sont encore des images de la Divinité même, ou de l’Auteur même de la nature : capables de connaître le système de l’univers et d’en imiter quelque chose par des échantillons architectoniques, chaque esprit étant comme une petite divinité dans son département.
84. C’est ce qui fait que les esprits sont capables d’entrer dans une manière de société avec Dieu, et qu’il est à leur égard, non seulement ce qu’un inventeur est à sa machine (comme Dieu l’est par rapport aux autres créatures), mais encore ce qu’un prince est à ses sujets, et même un père à ses enfants.
85. D’où il est aisé de conclure que l’assemblage de tous les Esprits doit composer la Cité de Dieu, c’est−à−dire le plus parfait Etat qui soit possible sous le plus parfait des Monarques.
86. Cette Cité de Dieu, cette Monarchie véritablement universelle est un Monde Moral, dans le Monde Naturel, et ce qu’il y a de plus élevé et de plus divin dans les ouvrages de Dieu ; et c’est en lui que consiste véritablement la gloire de Dieu, puisqu’il n’y en aurait point si sa grandeur et sa bonté n’étaient pas connues et admirées par les esprits ; c’est aussi par rapport à cette cité divine qu’il a proprement de la bonté, au lieu que sa sagesse et sa puissance se montrent partout.
87. Comme nous avons établi ci−dessus une harmonie parfaite entre deux règnes naturels, l’un des causes efficientes, l’autre des finales, nous devons remarquer ici encore une autre harmonie entre le règne physique de la nature et le règne moral de la grâce, c’est−à−dire entre Dieu considéré comme architecte de la machine de l’univers, et Dieu considéré comme monarque de la cité divine des esprits.
88. Cette harmonie fait que les choses conduisent à la grâce par les voies mêmes de la nature et que ce globe par exemple doit être détruit et réparé par les voies naturelles dans les moments que le demande le gouvernement des esprits ; pour le châtiment des uns et la récompense des autres.
89. On peut dire encore que Dieu comme architecte contente en tout Dieu comme législateur ; et qu’ainsi les péchés doivent porter leur peine avec eux par l’ordre de la nature, et en vertu même de la structure mécanique des choses ; et que de même les belles actions s’attireront leurs récompenses par des voies machinales par rapport aux corps ; quoique cela ne puisse et ne doive pas arriver toujours sur− le−champ.
90. Enfin sous ce gouvernement parfait il n’y aurait point de bonne action sans récompense, point de mauvaise sans châtiment, et tout doit réussir au bien des bons, c’est−à−dire de ceux qui ne sont point des mécontents dans ce grand Etat, qui se fient à la Providence, après avoir fait leur devoir, et qui aiment et imitent, comme il faut, l’Auteur de tout bien, se plaisant dans la considération de ses perfections suivant la nature du pur amour véritable, qui fait prendre plaisir à la félicité de ce qu’on aime. C’est ce qui fait travailler les personnes sages et vertueuses à tout ce qui paraît conforme à la volonté divine présomptive ou antécédente, et se contenter cependant de ce que Dieu fait arriver effectivement par sa volonté secrète, conséquente et décisive, en reconnaissant que, si nous pouvions entendre assez l’ordre de l’univers, nous trouverions qu’il surpasse tous les souhaits des plus sages, et qu’il est impossible de le rendre meilleur qu’il est, non seulement pour le tout en général, mais encore pour nous−mêmes en particulier, Si nous sommes attachés comme il faut à l’Auteur du tout, non seulement comme à l’Architecte et à la cause efficiente de notre
être, mais encore comme à notre Maître et à la cause finale qui doit faire tout le but de notre volonté, et peut seul faire notre bonheur.
Gottfried Wilhelm Leibniz
Monadologie / 1714
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