Que l’on se rassure (que l’on s’inquiète, plutôt) ; ce n’est pas parce que le ministre de la Culture s’appelle Mitterrand que la casse culturelle va cesser de sitôt. Que l’on en juge, de France Culture aux Instants Chavirés à Montreuil, en passant par Marseille, Lyon et Montpellier.
Acte 1 / Surpris par la nuit aux oubliettes
Bruno Patino, patron de France Culture, vient de signifier à Alain Veinstein, figure historique de la chaîne, que l’émission Surpris par la nuit ne devrait pas être reconduite à la rentrée. Certes, en ces temps où la précarité devient le principal bien commun, on nous a assez bassinés, sur tous les tons, que nul n’était censé garder la même place une fois pour toutes, Alain Veinstein pas plus que les autres. Sauf que Surpris par la nuit, et ses 75 minutes exemptes de toute « chronique » et de tout découpage en séquences, ce n’est pas tout à fait une émission comme les autres. Créée voici 20 ans, elle reste (et reste à peu près la seule) à incarner ce qu’a été l’âme de France Culture, aujourd’hui largement éradiquée. L’émoi provoqué car cette prochaine disparition d’antenne a conduit un certain nombre d’auditeurs amoureux de la radio (il en reste) à faire part à Bruno Patino de leur étonnement, voire de leur colère. Celui-ci leur a répondu en se défendant de jouer les censeurs : « Il va de soi que l’esprit qui a présidé à la création de toutes ces émissions [Surpris par la nuit, les Nuits magnétiques…] demeure à France Culture. Les émissions peuvent évoluer, leur titre ou leur producteur parfois changer, de nouvelles démarches et sensibilités apparaître, ce qui importe avant tout est d’être fidèle à un esprit de création de documentaires radiophoniques, à une volonté d’innover, et enfin à une exigence intellectuelle et culturelle digne de l’histoire de notre antenne. » Ben voyons, il n’allait quand même pas tout de go annoncer : « Mon ambition est que France Culture prenne des parts de marché à RTL », radio dont, soit-dit en passant, la rumeur l’annonce comme possible prochain P-D.G. Dans ce même courrier, Bruno Patino affirme : « Notre antenne se doit de proposer à ses auditeurs des formes et des formats radiophoniques qui n’existent pas ailleurs. » Et c’est bien là que, d’une certaine manière, le bât blesse. C’est quoi, au juste, les « formes et formats » ? Plier France Culture à certains « formats » que l’on retrouve presque partout ailleurs (dans le cas de Surpris par la nuit, l’idée serait de « découper » l’émission existante en trois tranches distinctes : dans l’immobilier, on appelle ça une « vente à la découpe »), c’est induire un certain type de contenu : rapide, efficace, prévisible. Tout le contraire de l’exception radiophonique que devrait constituer France Culture, chaîne de création sonore. La disparition programmée de Surpris par la nuit est un casus belli en ceci qu’il ne s’agit pas seulement d’une entreprise de normalisation radiophonique mais d’une pure et simple mise au pas politique. Je fais partie d’une génération qui a fait ses classes, davantage qu’au lycée ou à l’université, à l’écoute de certaines émissions de France Culture (les Nuits magnétiques, l’Atelier de Création Radiophonique, les grandes heures du Panorama, l’émission Peinture fraîche que conduisait magnifiquement Jean Daive, le Gai Savoir de Gérard Gromer, les Chemins de la connaissance, etc., sans oublier l’émission Chanson, seule de tout l’espace radiophonique, au début des années 80, à donner à entendre des voix singulières et discordantes : la Marseillaise de Gainsbourg, le Catalan Lluis Llach, le Basque Mikel Laboa, Giovanna Marini, Mama Bea Tekielski, etc., et l’immense Colette Magny, passée en fraude (lorsque ses disques arrivaient à l’ORTF, ils étaient poinçonnés afin d’être sûrs qu’ils ne soient pas diffusés à l’antenne) (1). France Culture a progressivement été privé de toutes ces voix qui en faisaient l’âme.
Bruno Patino, directeur de France Culture depuis septembre 2008, a précisément été nommé pour parachever une fois pour toutes cette basse besogne de liquidation politique. Sans états d’âme, justement. A Télérama, où le coucou a précédemment fait son nid, certains journalistes qui ont côtoyé de près Bruno Patino s’en souviennent en des termes peu amènes : « C’est quelqu’un qui a fortement déçu ; il a beaucoup promis et peu donné, qui s’est servi et qui est parti. Au nom du jeunisme, il a commencé à faire du nettoyage ; mais il était surtout préoccupé de lui-même : c’est un homme d’aujourd’hui, qui construit son icône. » L’une de ses ex-collaboratrices le décrit comme « un homme-enfant, excessivement intelligent d’un côté, immature de l’autre, qui peut être soudain très violent et qui, d’une façon générale, maltraite les gens avec qui il travaille, il ne peut travailler qu’avec des gens qui sont à sa botte ». Ce « petit Sarkozy » (il est conseiller municipal de Sceaux, élu sur une liste de droite) a surtout été présenté comme l’homme de main de Lagardère pour prendre le contrôle du Monde. La messe est dite…
Acte 2 / Marseille, capitale européenne aculturelle
Marseille-Provence a été choisie pour être, en 2013, capitale culturelle européenne. Pour préparer cette grande fête, la Ville de Marseille avait annoncé que le financement de ce projet, qui doit associer moult structures locales et régionales, se ferait sur des mesures nouvelles. On sait désormais ce qu’il fallait entendre par « mesures nouvelles » : le budget Culture de la Ville de Marseille serait amputé, en 2009, d’une baisse globale des subventions de 15%. Dans un communiqué de presse, l’intersyndicale des employeurs du spectacle vivant en Provence-Alpes-Côte d’Azur dénonce une « situation qui crée une immense inquiétude, qui fragilise l’ensemble d’un secteur fondamental pour l’économie, la vie sociale et le rayonnement de notre ville. Elle accablerait l’ensemble des “très petites entreprises culturelles” qui jouent un rôle essentiel dans la créativité et participent activement au renouvellement artistique dans la ville ».
Acte 3 / Une éviction brutale et sans motif avoué
A Lyon, le ministère de la Culture vient de mettre fin brusquement, un mois avant les vacances universitaires, aux fonctions d’Henry Fourès, directeur du Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Lyon. Comme l’écrivent dans une Lettre ouverte au ministre de la Culture les compositeurs Jacques Rebotier, Pablo Cueco et Bernard Cavanna, « Cette décision, dans sa forme, sa hâte et par son absence d’explications, nie le projet d’établissement porté par la direction, les professeurs, les étudiants et l’équipe administrative. Pourtant, le CNSMD de Lyon a su imposer une vision nouvelle et salutaire, à forte image internationale. Il constitue une pièce indispensable au paysage musical et chorégraphique national et européen. Il prodigue un enseignement de haute qualité, ouvert sur la musique et la danse d’aujourd’hui, dans leur richesse et leur diversité, ainsi que sur les autres disciplines artistiques, cultivant les échanges transnationaux, croisant pratiques individuelles et collectives, traditions et modernités, pédagogie et création. Nous ne pouvons laisser dilapider ce capital » (2). Qu’est-ce qui a bien pu motiver une telle décision ? Mystère et boule de gomme… L’âge du capitaine, peut-être ? Pianiste inventif, ex-collaborateur de Maurice Fleuret au ministère de la Culture dans les années 80, Henry Fourès n’a pourtant pas encore atteint, à 61 ans, le seuil de la retraite. Comme le chantait Colette Magny, « Qui voulez-vous que je mette dans le sac aux vilains vieux ? ». Notre ami et camarade Michel Thion, de son côté, pointe peut-être le vrai problème : il présente Henry Fourès comme « un vrai musicien, un artiste comme on les aime, que l’entrée dans l’institution n’aura pas amené à se trahir, en bref, une rareté… Voici qu’il est vidé avec nulle suavité par le ministère de la Culture, sans motif avoué, peut-être sans motif avouable. Un projet cassé, un élan brisé, pour cause de trop d’ouverture, de manque de paillettes, trop de travail de fond et pas assez de clinquant, voilà ce qui se passe aujourd’hui, là comme en bien d’autres lieux consacrés à l’art d’aujourd’hui ».
Acte 4 / A Montpellier, la création web suspendue
Panoplie, revue web de création contemporaine, réalisée à Montpellier depuis dix ans, est l’une des meilleures du genre. Pourtant, si vous allez sur leur site internet, vous y êtes « accueilli » par l’annonce suivante : « Faute de financement, la revue web de création contemporaine panoplie.org a cessé ses activités depuis mars 2009. » De concert, l’Etat et la Région Languedoc-Roussillon ont diminué de moitié leurs subventions à l’association éditrice de Panoplie, mettant également en danger l’ensemble des activités de cette petite équipe fort dynamique : un webmagazine sur l’actualité des arts visuels en Languedoc-Roussillon et un portail sur les artistes et l’actualité de l’art contemporain en Languedoc-Roussillon. C’est normal, au train où vont les choses, comme il n’y aura bientôt plus d’artistes vivants, à quoi bon des sites internet pour s’en faire l’écho ?
Acte 5 / Diplomatisation de l’action culturelle française à l’étranger
Si, si, Bernard Kouchner a des idées ! Le ministre des Affaires étrangères souhaite repenser l’action culturelle de la France à l’Etranger. CulturesFrance sera à l’avenir nommé « Institut Français », nouveau label de la culture française à l’Etranger. Cette réforme, dit-on, « vise à éviter la dispersion des moyens et à rendre plus lisible la présence française à l’étranger ». Bonne nouvelle : cette nouvelle structure sera dotée de 40 millions d’euros. Mauvaise nouvelle : cette somme ne comblera que partiellement les 60 millions retirés à la diplomatie culturelle au cours de l’hiver dernier. Mais Bernard Kouchner ne se fait pas de souci : il souhaite « développer le financement privé des projets culturels ». Ce qui ne se dit pas, nulle part, c’est que derrière cette opération de lifting se dessine d’ores et déjà un mouvement de grande ampleur, baptisé « diplomatisation de l’action culturelle française à l’étranger ». En clair : à terme, tous les « instituts français » n’auront plus besoin d’être dirigés par quelqu’un de compétent (et d’éventuellement audacieux) ; ils seront directement rattachés aux services culturels des ambassades et des consulats. Il n’y aura donc plus d’action culturelle française à l’Etranger que si elle coïncide pile-poil avec les objectifs de la « diplomatie », elle-même pilotée par des intérêts stratégiques et économiques. On voit d’ici ce que ça veut dire… Et personne ne pipe mot, à commencer par Olivier Poivre d’Arvor, actuel directeur de CulturesFrance. On suppose qu’on lui a d’ores et déjà promis un poste hautement gratifiant…
Acte 5 / A vendre : splendide hôtel particulier dans le Marais
Il n’y a pas qu’en France que la « diplomatie culturelle » a du plomb dans l’aile. Le ministère suédois des Affaires étrangères en effet de fermer l’Institut suédois (ex-Centre Culturel suédois à Paris) à Paris, situé depuis 1971 dans le magnifique Hôtel de Marle, au cœur du Marais. Cet établissement culturel assez unique en son genre (plus de 100 000 spectateurs par an, plus un café hautement apprécié) constitue une plateforme très active pour la diffusion de la culture suédois en France et pour les échanges artistiques entre les deux pays. Exceptionnel, l’Institut Suédois l’est à plus d’un titre : il est le seul Centre culturel suédois à l’étranger. L’excellence de son activité artistique n’est d’ailleurs pas mise en cause, seules sont mises en avant d’obscures (et impérieuses ?) « raisons budgétaires ». Au moment où la Suède vient de prendre la présidence de l’Union européenne, voilà qui en dit long sur l’intérêt que porte l’Europe à la culture qui la constitue pourtant…
Acte 6 / Les Instants chavirés, en train de chavirer pour de vrai
En région parisienne, à Montreuil, il ne devrait plus être besoin de faire l’éloge des Instants chavirés, trop rare refuge des musiques libres et inclassables, minoritaires mais essentielles. Or, nous venons d’apprendre que toute la prochaine saison d’automne (musique et arts visuels) y est annulée. Et là, le ministère de la Culture n’y est pour rien : cette décision survient à la suite de sévères amputations de budget, l’une de la mairie de Montreuil que dirige l’écologiste Dominique Voynet (bon, la prochaine fois, on ne votera pas Cohn-Bendit) ; l’autre du conseil général de la Seine-Saint-Denis, dont le président est le socialiste Claude Bartolone (et bien, on ne votera pas non plus PS). Et on n’aura même plus d’instants rares où aller chavirer. Le monde est formidable !
7 / Sarkozy d’ores et déjà réélu en 2012 !
Pour finir cette « chronique de la casse culturelle » par la plus maussade des nouvelles, toutes les conditions sont réunies pour que Sarkozy soit réélu en 2012, et peut-être même dès le premier tour. Pour une simple raison : il n’y a quasiment plus aucune opposition parlementaire digne de ce nom. On pouvait penser que les dernières élections européennes auraient pu faire électrochoc sur le corps déjà passablement délabré du Parti socialiste. Revenu de longues vacances, François Hollande fait la danse du ventre pour séduire à nouveau le cimetière des éléphants. Martine Aubry, elle, se démène comme une diablesse pour rester à la barre d’un navire qui prend l’eau de toutes parts. Son dernier truc était l’autre jour en première page du Monde : « Martine Aubry assigne au PS l’ambition d’inventer le post-matérialisme. » J’avoue, je n’ai pas eu le courage de lire l’article… J’imagine la tête de tous les sans (emploi, papiers, domicile, dignité, etc.) qui n’ont aucun horizon auquel s’accrocher, et à qui des socialistes bien-pensants viendront dire : « Ne vous inquiétez pas ; on est en train d’inventer le post-matérialisme. » Qu’est-ce qu’on rigole…
Jean-Marc Adolphe
Publié sur Mouvement / 8 juillet 2009
1 Pour ne pas oublier tout à fait Colette Magny, ces quelques liens :
http://www.youtube.com/watch?v=hu3FkYM2cGo
http://www.youtube.com/watch?v=4OIzTyHMQrQ,
et ce document bouleversant.
2 Pour signer la lettre ouverte au ministre de la Culture contre l’éviction d’Henry Fourès : http://www.petitionduweb.com/Lettre_ouverte_au_Ministre_de_la_Culture-4316.html