« Il y a un problème de redéfinition des pratiques sociales, de réinvention des modes de concertation, des modes d’organisation, des rapports avec les médias, etc. Et ça devient politique : savoir qu’est-ce qu’on veut faire. Est-ce que justement on veut changer radicalement les systèmes de valorisation ? Auquel cas il faut les prendre dans leur globalité, dans leur ensemble. Si on prétend changer seulement sectoriellement, constituer une petite force d’appoint, un petit lobby de pression sur l’environnement, alors moi je pense que c’est perdu d’avance ; parce que ça marchera très bien : l’industrie ne demande pas mieux que d’utiliser le mouvement écologiste comme elle a utilisé le mouvement syndical pour sa propre structuration du champ social. Ça serait très vite digéré par l’industrie, par l’Etat, par les forces dominantes. Il faut un autre niveau d’exigence. Je propose ce terme d’écosophie pour montrer l’amplitude de la problématique des valeurs ».
« Une immense reconstruction des rouages sociaux est nécessaire pour faire face aux dégâts du Capitalisme Mondial Intégré. Seulement, celle-ci passe moins par des réformes de sommet, des lois, des décrets, des programmes bureaucratiques que par la promotion de pratiques innovantes, l’essaimage d’expériences alternatives, centrées sur le respect de la singularité et sur un travail permanent de production de subjectivité, s’autonomisant tout en s’articulant convenablement au reste de la société « .
Félix Guattari
La décroissance comme on le sait aujourd’hui amène non seulement à ce que S. Latouche appelle une « révolution culturelle », c’est-à-dire à la décolonisation d’un imaginaire économiciste, politiste et progressiste, mais plus encore, elle mène aussi et surtout à privilégier comme l’a fait le situationnisme, une profonde révolution de la vie quotidienne enfin constituée en autant de moments réellement vécus. Par des pratiques autonomisantes, d’auto-détermination et de réappropriation de sa propre vie, par l’auto-production, l’auto-consommation, l’auto-construction, le « do it yourself », les « réductions », les « TAZ », les Bolo’bolo, c’est-à-dire par la construction situationnelle de formes-de-vie, c’est le « système de la quotidienneté asservie et programmée » (H. Lefebvre) par l’échange marchand qui a déjà colonisé toutes les dimensions du pouvoir-capacité que nous avions individuellement et collectivement sur notre propre vie, qui est ébranlé dans ses fondements réels comme imaginaires. Il s’agit donc ici d’une certaine « dérive urbaine » lettriste, qui notamment au travers de l’écriture de Bernard-Marie Koltès (lui aussi lecteur de Deleuze et probablement de Foucault), dit assez bien l’instabilité, l’impossibilité de s’ancrer, la dissymétrie entre une vie normée et une vie mouvante, la dichotomie entre la nuit et le jour, quand il écrit qu’il « ne conçoit un avenir que dans une espèce de déséquilibre permanent de l’esprit, pour lequel la stabilité est non seulement un temps mort, mais une véritable mort ». On pourrait aussi parler plus particulièrement d’extension du domaine de la lutte contre la mort économique qui nous traverse, en parlant de « dérive rurale » au travers des expérimentations que nous mettons en place. Et c’est dans cette perspective d’une décroissance comprise comme « révolution de la vie quotidienne » qui ne se réduise donc pas à la simplicité de la simplicité volontaire et à ses petits gestes éco-citoyens et politiciens propres à la sobriété économe du développement durable et d’une certaine « décroissance soutenable », comme aux politiques publiques de toute l’écologie politique technocratique – qui tous ensemble mis bout à bout ne cessent d’être que les compléments dialectiques au replâtrage réformiste de la Méga-machine techno-politico-économique -, que la lecture de l’ouvrage les Trois écologies de Félix Guattari peut nous être aujourd’hui des plus précieuses pour dé-penser et re-penser notre rapport à la question politique, et à son impuissance contemporaine à nous arracher à cette nuit juste avant les forêts qui nous enserre de toute part, sans entraves et sans temps morts, surtout sans possibilité d’aucun dehors.
Guattari ne pouvait en effet que critiquer le tournant funeste de l’écologie politique naissante en 1974 lors de la candidature de « l’ex-technocrate René Dumont » (Charbonneau) , pour ensuite prendre à contre-pied toute la gauche. Car « les milieux « alternatifs » écrit-il, méconnaissent généralement l’ensemble des problématiques relatives à l’écologie mentale ». Et c’est là que nous pouvons déjà trouver un lien évident avec la décroissance dans son positionnement vis-à-vis des politiques publiques écologiques. « Tant que le marteau économique reste dans nos têtes écrit S. Latouche, toutes les tentatives de réformes sont des agitations vaines, stériles et le plus souvent dangereuses ». En mettant donc en avant la nécessité d’une « déséconomicisation des esprits » avant tout autre chose, la décroissance a donc un lien évident avec « l’écologie de l’imaginaire » de Guattari dont elle est le prolongement. Car la traditionnelle « écologie environnementale, telle qu’elle existe aujourd’hui poursuit-il, n’a fait, à mon sens, qu’amorcer et préfigurer l’écologie généralisée que je préconise ici (…). Les actuels mouvements écologiques ont certes biens des mérites, mais à la vérité, je pense que la question écosophique globale est trop importante pour être abandonnée à certains de ses courants archaïsants et folklorisants, optant quelquefois délibérément pour un refus de tout engagement politique à grande échelle. La connotation de l’écologie devrait cesser d’être liée à l’image d’une petite minorité d’amoureux de la nature ou de spécialistes attitrés (…) J’y insiste, ce choix [écosophique] n’est plus uniquement entre une fixation aveugle aux anciennes tutelles étatico-bureaucratiques, un welfare généralisé ou un abandon désespéré ou cynique à l’idéologie des « yuppies » (…). La question est dès lors de savoir si de nouveaux opérateurs écologiques et de nouveaux Agencements d’énonciation écosophiques parviendront ou non à les orienter dans des voies moins absurdes, moins en impasse que celles du Capitalisme Mondial Intégré (CMI) ». Voilà qui est en effet posé.
En dehors d’une conception héroïque et téléologique de la politique, cet ouvrage présente alors de manière originale la nécessité d’une recomposition et d’une redéfinition des pratiques sociales et individuelles rangées selon les trois rubriques complémentaires de l’écologie sociale, l’écologie mentale et l’écologie environnementale, et qu’il regroupe sous l’égide éthico-esthétique d’une écosophie à venir et qui pourrait bien porter aujourd’hui le nom de « décroissance ». Pour lui la décroissance amènerait ainsi à dé-penser et re-vivre les rapports de l’humanité au socius, à la psychè et à la « nature ». A l’inverse des « objecteurs de croissance » qui se bornent à nous resservir des formes politiques et militantes à l’agonie dont il est fort à craindre qu’elles ne lassent plus rapidement que le cinéma et la télévision, il s’agirait pour Guattari d’une véritable « recomposition et un recadrage des finalités des luttes émancipatrices » en fonction des « trois types de praxis éco-logiques » mis en évidence.
La subjectivité croissanciste et son monde-d’un-seul-tenant.
Notons d’abord que la critique que porte Guattari est bien celle de la « mise en cause des modes dominants de valorisation des activités humaines » et avant tout la dénonciation de « l’imperium d’un marché mondialisé qui lamine les systèmes particuliers de valeur, qui place sur un même plan d’équivalence : les biens naturels, les biens culturels, les sites naturels ». Avec Guattari nous ne sommes donc pas en des terres si étrangères à la pensée de la décroissance. On peut noter aussi une certaine proximité de notre auteur avec la critique de l’occidentalisation du monde par le déploiement planétaire du « développement », puisque qu’il remarque qu’il faudrait aussi parler de « déterritorialisation sauvage du Tiers Monde, qui affecte concurremment la texture culturelle des populations, l’habitat, les défenses immunitaires, le climat, etc. ». De plus nous nous retrouvons encore en terres connues, quand il écrit que « l’époque contemporaine, en exacerbant la production de biens matériels et immatériels, au détriment de la consistance des Territoires existentiels individuels et de groupe, a engendré un immense vide dans la subjectivité qui tend à devenir de plus en plus absurde et sans recours ». Critique de la forme-valeur et non seulement critique de la plus-value, prise en compte des éthnocides et de la destruction du lien social et des cultures, enfin analyse de la subjectivité capitalistique dans son mode sérialisé, sous la forme de la perte de sens, de l’ennui, de l’impuissance et de l’irresponsabilité permanente, voilà donc des thèmes très proches de la décroissance.
Mais l’originalité de Guattari au travers de cet ouvrage, c’est qu’il veut particulièrement mettre en évidence dans sa perspective éco-sophique, « les modes de production de la subjectivité, c’est-à-dire de connaissance, de culture, de sensibilité, et de sociabilité relevant de systèmes de valeur incorporelle se situant désormais à la racine des nouveaux Agencements productifs » des sociétés de croissance. Et c’est là un angle mort de l’écologie politique traditionnelle qui ne sait toujours poser qu’un aspect minime de ses possibilités sous la forme de l’écologie environnementale. Or la prise en compte de la subjectivité capitaliste sérialisée pourrait être des plus importantes. Et d’ailleurs Guattari n’a pas été le premier à en faire la remarque aux écologistes puisque on sait que Bernard Charbonneau a justement voulu montrer combien « le sentiment de la nature » et l’écologie politique rapidement récupérée par la société industrielle, étaient eux-mêmes des formes intrinsèques à la production de subjectivité capitalistique. « Réaction à l’organisation, le sentiment de la nature ramène à l’organisation » remarquait-il, pensant que le « sentiment de la nature » n’était finalement que le produit des sociétés industrielles. C’est donc par la non prise en compte d’une véritable « écologie de l’imaginaire » qui puisse réellement se détacher des formes à l’agonie de la modernité politique, que l’écologie environnementale et ses politiciens sont aujourd’hui à l’avant-garde de l’organisation de la survie du capitalisme. Car c’est là, remarque Guattari, le travers qu’il trouve à l’écologie traditionnelle, il ne faut « jamais perdre de vue que le pouvoir capitaliste s’est délocalisé, déterritorialisé, à la fois en extension, en étendant son emprise sur l’ensemble de la vie sociale, économique et culturelle de la planète et, en « intension » en s’infiltrant au sein des strates subjectives les plus inconscientes ». Comment tiennent les différents collages du Capitalisme Mondial Intégré (CMI) ? Michel Foucault analysait déjà finement la mutation de la domination vers désormais le double aspect d’un « contrôle social » qui se matérialise à la fois par le très classique « gouvernement des populations », mais aussi par le « gouvernement par l’individualisation ». Guattari reprend cette perspective, puisque « c’est à partir des données existentielles les plus personnelles – on devrait dire infra-personnelles – que le CMI constitue ses agrégats subjectifs massifs, accrochés à la race, à la nation, au corps professionnel, à la compétition sportive, à la virilité dominatrice, à la star mass-médiatique… En s’assurant du pouvoir sur le maximum de ritournelles existentielles pour les contrôler et les neutraliser, la subjectivité capitalistique se grise, s’anesthésie elle-même, dans un sentiment collectif de pseudo-éternité ». Il y a là bel et bien le mode de production de la subjectivité des sociétés de croissance. Ainsi comme nous y invitait Foucault sur la question du pouvoir – qui est aujourd’hui un système bien plus subtil que la froide coercition de la « raison d’Etat » théorisée par Hobbes car le gouvernement se fait aujourd’hui par l’investissement beaucoup plus serré des individus, une individualisation du pouvoir s’attachant toujours à modeler l’individu et à en gérer l’existence -, la question de la religion de l’économie de croissance est quelque chose de bien plus subtil que celle d’une extériorité transcendante que l’on pourrait réguler, gérer, moraliser, écologiciser en lui opposant notre rage, notre critique, des politiques publiques, des contre-feux ou une militance clé en main. « Illusion politique » que dénonçait déjà J. Ellul, ou encore « militantisme, stade suprême de l’aliénation » comme s’intitulait une brochure situationniste, alors que les vieux schémas marxistes continuent dans l’altermondialisme d’opposer le travail au capital et la politique à l’économique. Et Guattari dans cette perspective de mise en évidence de la subjectivité capitalistique dont une des formes est par exemple le citoyennisme (« le travail c’est la citoyenneté » proclame N. Sarkozy dans un de ses slogans de campagne), considère lui aussi qu’« il devient plus difficile, de soutenir que les sémiotiques économiques et celles qui concourent à la production de biens matériels occupent une position infrastructurale par rapport aux sémiotiques juridiques et idéologiques comme le postulait le marxisme. L’objet du CMI est, à présent, d’un seul tenant : productif-économique-subjectif (…). Il résulte à la fois de causes matérielles, formelles, finales et efficientes ». Il préfère ainsi appeler le capitalisme post-industriel des sociétés de la Triade, de Capitalisme Mondial Intégré (CMI) qui repose sur quatre instruments d’un seul tenant : les sémiotiques économiques : (instruments monétaires, financiers, comptables, de décision…), les sémiotiques politico-juridiques : (titres de propriété, législation et réglementations diverses…), les sémiotiques technico-scientifiques (plans, diagrammes, programmes, études, recherches…), les sémiotiques de subjectivation (urbanisme architecture, équipements collectifs…). La production et la croissance économique sont alors désormais détachées de l’espace de l’usine et de sa relation au travail salarié pour proliférer dans tout le champ social à travers l’ensemble de nos « corps politiques ». Il n’y a pas d’un côté les patrons et de l’autre les salariés, les antilibéraux contre les ultra-libéraux, ou encore les vilains pollueurs puis les gentils écologistes. A l’âge d’une mégamachine planétairement intégrée et qui s’est maintenant répandue dans nos vies d’un seul tenant, « nous sommes le réseau » dit Baudrillard. Il faut bien reconnaître que « les activités de circulation, de distribution, de communication, d’encadrement… constituent des vecteurs économico-écologiques se situant rigoureusement sur le même plan, au point de vue de la création de la plus-value, que le travail directement incorporé dans la production de biens matériels ». Et ce caractère d’un seul tenant du CMI, Jacques Ellul l’a particulièrement mis en évidence en parlant de l’illusion de la politique comme « choix réel » du fait de sa technicisation, ou encore de son économicisation comme l’a démontré le groupe allemand Krisis, c’est-à-dire de l’immanentisation générale du politique, du militantisme, de la technique et de l’économique au sein d’un CMI désormais sans possibilité de dehors car sans limites. On ne peut plus opposer la politique à l’économique, ou « l’alter-gestion » à la gestion ordinaire des propriétaires de la société car on le sait maintenant, « la lutte des classes a été la forme de mouvement immanente au capitalisme, la forme dans laquelle s’est développée sa base acceptée par tout le monde : la valeur ». Il n’est donc plus étonnant de voir tous ceux qui vieillissent dans les catégories fossilisées de pensée, comme les différentes extrêmes gauches, verser dans la tentation de la réforme . Et encore moins de constater l’irrésistible attrait de la LCR et des diverses lunes immanentes à l’ontologie de la forme-valeur que sont la socialisation des moyens de production ou encore l’antiproductivisme, sur certains décroissants (sans parler de l’altermondialisme et des comiques « anti-libéraux »). Le CMI est désormais d’un seul tenant et il faut donc le confondre en un seul tenant, dans sa totalité, y compris et surtout désormais avec ses supposés « opposants ». C’est là l’originalité de la perspective de Guattari par rapport à la régression qu’a pu être l’écologie politique depuis 1974, « les trois écologies devraient être conçues, d’un même tenant, comme relevant d’une commune discipline éthico-esthétique et comme distinctes les unes des autres du point de vue des pratiques qui les caractérisent ».
Clément Homs
Publié sur Nouveau millénaire, défis libertaires / avril 2007
(notes consultables sur le site d’origine)
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Archive mensuelle de mai 2009
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Séminaire du groupe Gilles Châtelet
Samedi 23 mai 2009
Université Paris 8, salle la Coupole
(prendre la porte à droite au fond du hall d’entrée, puis aller à gauche jusqu’au fond de la cour, la coupole est l’ancienne cafétéria près du bâtiment C)
Il sera question lors de cette journée des avancées que la pensée diagrammatique a contribué à opérer dans divers champs disciplinaires.
Ce séminaire est ouvert à tout le monde.
Matin :
8h15-10h
De la « diagrammatisation » du sens artistique
Dans la continuité du travail entrepris sur la notion de diagramme dans le numéro 22 de TLE (PUV, 2004) tout d’abord, puis dans l’article : Diagrammatic Thinking in Literature and Mathematics (EJES, vol. 11, n°3, 2007), je voudrais poursuivre ma réflexion sur les opérations de pensée mises en jeu par l’activité de « diagrammatisation » du sens artistique, à l’interaction du travail de l’auteur et du lecteur, ainsi que sur le potentiel de cette activité pour théoriser la relation entre le « plan de composition esthétique » et le « plan de composition technique » (Deleuze et Guattari, Qu’est-ce que la philosophie ?), en relation avec les notions de fiction, de dispositif, et de lecture empathique.
Noëlle Batt
10h-11h30
Le champ de pertinence du diagramme dans la philosophie française
La notion de diagramme reçoit un fabuleux destin dans la philosophie française de ces 30 dernières années, mais peut-on dire que Deleuze, Guattari, Châtelet y voient la même chose ? Le diagramme est-il un concept ou un opérateur ? Les multiples modifications que ce terme revêt de Deleuze à Châtelet semblent poser le problème de la légitimité de son usage. Qu’entend-on vraiment par diagramme ? Ne faudra t-il pas admettre qu’il y a plusieurs pensées du diagramme qui au fond ne se rejoignent pas, si ce n’est par l’esprit de combat ? L’ambiguïté profonde de ce terme, émanant d’un double champ linguistique et scientifique remanié par la puissance de trois penseurs, pose pourtant la question de la force de problématicité qu’elle permet au niveau des savoirs. Comment la philosophie, par le biais du diagramme, relance t-elle une interrogation qui remet en question l’ordre même de la représentation dans tous les domaines ?
Nous tenterons donc de définir le champ de pertinence du diagramme chez ces auteurs pour faire ressortir son incomparable puissance de modernité.
Joachim Dupuis
11h30-13h00
Retour vers le futur avec Proclus : qu’est-ce que penser dans un diagramme ? L’hypothèse projectionniste de Proclus à Hutchins
Les diagrammes ont fait récemment un retour en force dans la philosophie des mathématiques, en grande partie par réaction aux excès du linguistic turn et des dérives logicistes qui ont pu dominé au XXème siècle. Pourtant, il est rare qu’on explicite pleinement quel type de théorie de la connaissance doit se trouver attachée à la pensée par diagrammes – sinon pour se réfugier confortablement dans le « schématisme » kantien, fondé, comme chacun sait, sur « un art caché dans les profondeurs de l’âme humaine ». Dans cet exposé, je voudrais tout d’abord rappeler la manière dont la prise en compte du rôle des diagrammes a pu brouiller très tôt les cartes des philosophies traditionnelles des mathématiques. C’est, en effet, dès Proclus que l’on voit la grande opposition entre « platonisme » et « abstractionnisme » vaciller en faveur d’une nouvelle hypothèse, parfois appelée « projectionniste ».
Son postulat fondamental est que l’espace du géomètre doit être vu comme un écran où l’esprit projette ses opérations et qui fonctionne comme un miroir où l’esprit se voit agissant. J’essayerai de donner chair à cette idée, qui semble d’abord très métaphorique, en suivant quelques exemples procléens. Puis, dans un deuxième temps, je voudrais indiquer comment cette hypothèse « projectionniste » a été retrouvée (totalement indépendamment) par certains travaux d’anthropologie cognitive récente (Ed. Hutchins) pour palier les défauts des modèles « représentationnels » de la connaissance et rendre compte des « supports matériels » dans nos raisonnements.
David Rabouin
Après-midi
14h30-16h
Diagramme et herméneutique mathématicienne
Dans le passé, Gilles Châtelet mettait l’accent dans l’acte créateur (en mathématique ou en physique) sur le mouvement de pensée transversal à son propre développement, mouvement de bascule, quand la pensée sort de ses gonds ; pour ma part à ce sujet je mettais l’accent sur l’idée de pulsation, sur la capacité paradoxale de poursuite en dépit de et grâce au déséquilibre dans les enjeux contraires. Ces observations sont du côté de la conscience initiatrice de l’acte. J’envisagerai maintenant la question d’une façon déplacée, en insistant sur le fait que la pratique mathématicienne est une manipulation de diagrammes, et que l’émergence du sens mathématique ressort de cette manipulation.
Alors, qu’il s’agisse, au point de la conscience de l’acte, de transversalité ou de paradoxalité, les enjeux de déséquilibre se retrouvent au moment de décision des manipulations de diagrammes. Le point-clé est quand on baptise un diagramme, et qu’on en fait un objet mathématique frais.
La question de l’invention est alors déplacée, depuis l’acte jusqu’à son sens, et, non plus pour la conscience initiatrice, mais vis-à-vis du sens, il nous faut construire une théorie du nouveau, articuler des critères de nouveauté.
René Guitart
16h-17h30
Théorie des nœuds, invariance par difféomorphisme et relations de Conway
Nous étudierons deux branches de la théorie des nœuds qui rentrent tout particulièrement en résonance avec le travail de Châtelet sur les diagrammes.
Tout d’abord, nous examinerons le fait qu’en gravitation quantique, l’invariance par difféomorphisme – qui correspond à l’implémentation technique d’une conception relationnelle de l’espace – est décrite par des invariants de la théorie des nœuds. On s’efforcera de montrer en quoi cela renforce la conception de Châtelet selon laquelle le nœud n’est pas ornemental et le virtuel n’est pas toujours dissipé par l’actuel.
Puis nous reviendrons sur l’analogie formelle entre les skein relations de Conway
et la relation de commutation canonique de la physique quantique
afin d’illustrer l’articulation du geste et de la richesse allusive des diagrammes.
Alexis de Saint-Ours
SOURCIL
Nous allons aujourd’hui aux courses.
BOUCHE
N’oublions pas l’appareil.
OEIL
Eh bien bonjour.
OREILLE
Le bataillon mécanique des poignées de mains crispées.
BOUCHE (sort)
NEZ (crie)
Clitemnestre est gagnant !
OREILLE
Comment, vous ne saviez pas que Clitemnestre est un cheval de course ?
OEIL
Les bousculades amoureuses conduisent à tout. Mais la saison est propice. Prenez garde, chers amis, la saison est satisfaisante. Elle mord les paroles. Elle tend les silences en accordéons. Les serpents se profilent dans leurs propres lorgnons. Et que faites-vous des cloches des yeux, demanda l’intermédiaire.
OREILLE
« Des chercheurs et des curieux », répondit Oreille.
Elle finit les nerfs des autres dans le coquillage blanc de porcelaine. Elle gonfle.
NEZ
Eventail en crise de bois
corps léger en rire majeur.
SOURCIL
Les courroies des moulins à rêves
effleurent la mâchoire inférieure en laine de nos plantes carnivores.
OREILLE
Oui, je sais, les rêves aux cheveux.
OEIL
Les rêves d’anges.
OREILLE
Les rêves d’étoffe, les montres en papier.
OEIL
Les rêves majuscules en solennités d’inauguration.
OREILLE
Les anges en hélicoptère.
NEZ
Oui, je sais.
OEIL
Les anges de conversation.
COU
Oui je sais.
OREILLE
Les anges en coussins.
NEZ
Oui je sais.
OEIL
Les anges en glace.
COU
Oui je sais.
OREILLE
Les anges des milieux.
NEZ
Oui je sais.
OREILLE
La glace est rompue, disaient nos pères à nos mères, au premier printemps de leur existence qui était honorable et gracieuse.
OEIL
Voilà comment l’heure comprend l’heure, l’amiral sa flotte de paroles. Hiver enfant la paume de ma main.
BOUCHE (entre)
J’ai gagné beaucoup d’argent.
NEZ
Merci pas mal.
BOUCHE
Je nage dans le bassin j’ai des colliers de poissons rouges.
COU
Merci pas mal.
BOUCHE
J’ai une coiffure à l’américaine
NEZ
Merci pas mal.
OEIL
Oui j’ai déjà vu ça à New-York.
COU
Merci pas mal.
BOUCHE
Je ne comprends rien aux bruits de la prochaine guerre.
COU
Merci pas mal.
BOUCHE
Et je maigris tous les jours.
NEZ
Merci pas mal.
BOUCHE
Un jeune homme m’a suivi dans la rue à bicyclette.
COU
Merci pas mal.
BOUCHE
Je m’embarque lundi prochain.
NEZ
Merci pas mal.
OEIL
Clitemnestre le vent souffle. Le vent souffle. Sur les quais aux grelots garnis. Tournez le dos coupez le vent. Vos yeux sont des cailloux car ils ne voient que la pluie et le froid. Clitemnestre. Avez-vous senti les horreurs de la guerre ? Savez-vous glisser sur la douceur de mon langage ? Ne respirez-vous pas le même air que moi ? Ne parlez-vous pas la même langue ? Dans quel métal incalculable sont incrustés vos doigts de malheur ? Quelle musique filtrée par que rideau mystérieux empêche mes paroles de pénétrer dans la cire de votre cerveau ? Certes, la pierre vous ronge et les os vous frappent les muscles, mais jamais le langage découpé en tranches de chance ne déclenchera en vous le ruisseau employant les moyens blancs.
BOUCHE (sort)
OREILLE
Vous connaissez les calendriers d’oiseaux ?
OEIL
Comment ?
OREILLE
635 oiseaux – tous les jours un oiseau s’en va – toutes les heure une plume tombe – toutes les deux heures on écrit un poème – on le découpe avec les ciseaux.
NEZ
J’ai déjà vu ça à New-York.
OEIL
Quel philosophe. Quel poète. Je n’aime pas la poésie.
OREILLE
Mais alors vous aimez les boissons fraîches ? Ou les paysages ondulé comme les chevelures des danseuses ? Ou bien les villes antiques ? Ou les sciences occultes ?
OEIL
Je connais tout ça.
NEZ
Un peu plus de vie, là-bas sur la scène.
SOURCIL
Tambour gris pour la fleur de ton poumon.
OREILLE
Mon poumon est en poumons et non en carton si vous voulez savoir.
OEIL
Mais, Mademoiselle.
OREILLE
Je vous en prie, Monsieur.
OEIL
Pâques vertébrés en cages militaires la peinture ne m’intéresse pas beaucoup. J’aime les paysages sourds et larges galops.
NEZ
Elles et charmante votre pièce mais on n’y comprend rien.
SOURCIL
Il n’y a rein à comprendre tout est facile à faire et à a prendre. Goulot de pensée d’où sortira le fouet. Le fouet sera un myosotis. Le mysosotis un encrier vivant. L’encrier habillera la poupée.
OREILLE
Elle est charmante votre fille.
OEIL
Vous êtes bien aimable.
OREILLE
Vous vous intéressez aux sports ?
OEIL
Oui ce moyen de communication est assez pratique.
OREILLE
Vous savez j’ai un garage.
OEIL
Merci bien.
OREILLE
C’est le printemps le printemps…
NEZ
Je vous dis qu’il a 2 mètres.
COU
Je vous dis qu’il a 3 mètres.
NEZ
Je vous dis qu’il a 4 mètres.
COU
Je vous dis qu’il a 5 mètres.
NEZ
Je vous dis qu’il a 6 mètres.
COU
Je vous dis qu’il a 7 mètres.
NEZ
Je vous dis qu’il a 8 mètres.
COU
Je vous dis qu’il a 9 mètres.
NEZ
Je vous dis qu’il a 10 mètres.
COU
Je vous dis qu’il a 11 mètres.
NEZ
Je vous dis qu’il a 12 mètres.
COU
Je vous dis qu’il a 13 mètres.
NEZ
Je vous dis qu’il a 14 mètres.
COU
Je vous dis qu’il a 15 mètres.
NEZ
Je vous dis qu’il a 16 mètres.
COU
Merci merci très bien.
OEIL
Amour – sport ou réquisitoire
sommaire des BOTTINS d’amour – amour
accumulé par les siècles des poids et des nombres
avec ses seins de cuir et de cristal
dieu est un tic nerveux des dunes inexactes
nerveux et agile feuillette les pays et les poches des spectateurs
la coiffure de mort jetée au fléau
au dehors neuf
amitié à tort juxtaposée en délicatesse.
NEZ
Je vous dis que l’amour a 17 mètres.
COU
Je vous dis qu’il a 18 mètres.
NEZ
Je vous qu’il a 19 mètres.
COU
Je vous dis qu’il a 20 mètres.
NEZ
Je vous qu’il a 21 mètres.
COU
Je vous dis qu’il a 22 mètres.
NEZ
Je vous qu’il a 23 mètres.
COU
Je vous dis qu’il a 24 mètres.
NEZ
Je vous qu’il a 25 mètres.
COU
Je vous dis qu’il a 26 mètres.
NEZ
Je vous qu’il a 27 mètres.
COU
Je vous dis qu’il a 28 mètres.
NEZ
Je vous qu’il a 29 mètres.
OREILLE
Vous avez une très jolie tête
vous devriez en faire une sculpture
vous devriez donner une grande fête
pour comprendre et aimer la nature
et enfoncer dans la sculpture des fourchettes
les herbes de ventilateurs flattent les beau jours.
SOURCIL
Au feu ! Au feu !
Je crois que Clitemnestre brûle.