Le Jésuite (sautant au col d’Agathe)
Ma reine, je vole à ta voix.
Que par ce baiser plein de flamme,
Répété mille et mille fois,
Tous mes feux passent dans ton âme !
Clitandre (aux genoux de Marton)
Vous me fuyez, Marton ; ah ! quelle cruauté !
Rendez-vous aux désirs de l’amant le plus tendre.
De mes transports cessez de vous défendre
Dans ces heureux moments faits pour la volupté.
Marton (se débattant)
Dans quel abîme, Agathe, ô ciel ! m’as-tu conduite !
Soeur Agathe
Eh quoi ? tu fais l’enfant ? tu prétends résister ?
Cède au plaisir sans hésiter. (elle l’embrasse)
Viens, timide Marton ; mon coeur te félicite
Du bonheur que tu vas goûter.
Le Jésuite (entraînant Agathe)
C’est assez ; laissons-les, ma chère ;
Pour accorder ces deux amants
Ta présence est peu nécessaire ;
Ne perdons point ainsi de précieux moments.
Soeur Agathe
Me siérait-il d’être sévère ?
Allons sur ce sopha voisin,
D’un torrent de plaisir viens inonder mon sein :
Je me livre à toi, mon cher père.
(ils se retirent vers le fond du théâtre, et se baisent)
Marton
(pendant que Clitandre la renverse sur le lit, et la trousse)
Ah ! Clitandre, que faites-vous ?
Quoi ! vous me mettez nue ?
Clitandre
Permets que j’adore à genoux
Les célestes attraits dont l’Amour t’a pourvue,
Laisse-moi de ton corps contempler la blancheur,
L’élasticité, la fraîcheur,
Pardonne un amoureux caprice :
De ce petit lieu de délices,
Qu’ombrage une épaisse toison,
Par ce baiser ardent je prends possession.
Marton (s’agitant)
Y pensez-vous ? cessez, Clitandre.
Clitandre (se jetant sur elle)
Bannis un ridicule effroi.
Marton
Tu te précipites sur moi,
Cruel, de tes transports je ne puis me défendre.
Laisse-moi, du moins, cher amant,
Me placer plus commodément.
(elle s’arrange et croise ses jambes sur les reins de Clitandre)
Soeur Agathe (se rapprochant)
Eh bien ! ami, Marton est-elle encore pucelle ?
Clitandre
J’ai soumis à la fin cette beauté rebelle
Dans ce petit antre charmant
Je vais porter l’embrasement.
Soeur Agathe
Ne la ménagez point.
Marton
Ah ! cruel ! quel martyre !
Quelle grosseur !… il me déchire…
Arrête… ouf !… il me crève… arrête un seul moment…
Le bourreau va toujours ; il ne veut pas m’entendre.
Le Jésuite
Sois insensible à son tourment :
Ce n’est pas le cas d’être tendre.
Marton
Il redouble… le chien… ah ! ah !
Clitandre
Je suis vainqueur.
Je vais, pour calmer ta douleur,
Verser sur ta blessure un baume salutaire ;
Le sens-tu ?… le sens-tu, ma chère ?
Marton (se trémoussant)
Je sens une douce chaleur
Qui me pénètre jusqu’au coeur.
Je sens distiller goutte à goutte…
Perce… enfonce, aimable vainqueur,
Ne t’amuse point sur la route…
Pousse, ami… pousse vivement…
Où suis-je ? je me meurs… soutiens-moi, cher amant…
Clitandre (se relevant)
Ma reine me pardonne-t-elle ?
Je sens ce qu’elle a dû souffrir.
Pour les jeunes beautés, nécessité cruelle,
Il faut par la douleur arriver au plaisir.
Marton (rabaissant ses jupons)
De joie et de regret tour à tour combattue,
J’ose à peine sur toi, cruel, lever la vue.
Adieu vertu, sagesse, honneur,
Un instant a souillé ma gloire et ma pudeur !
Cher Clitandre, ha ! du moins si tu m’étais fidèle !
On attaque, on subjugue, on oublie une belle ?
Clitandre (tendrement)
Bannis ces soupçons odieux.
Comblé de tes faveurs, je t’en aimerai mieux ;
Viens : je veux sur toi-même en sceller la promesse.
Marton (entraînant Clitandre)
Eh bien ! jouis de ma faiblesse ;
Monte sur ce lit avec moi.
Je m’abandonne toute à toi.
Le Jésuite (à Soeur Agathe)
Accompliront-ils seuls l’amoureux sacrifice ?
Soulage mon tourment, daigne, aimable novice,
M’offrir à contre-sens l’objet de mes désirs :
Tout chemin peut conduire au temple des plaisirs.
Soeur Agathe
Ah ! qu’un amant est tyrannique !
Tu le veux, il faut le vouloir.
(elle se place et relève ses cotillons ; le jésuite se courbe sur elle, et la menace d’une fausse attaque)
Point de caresse jésuitique,
Fripon, ou pour jamais je renonce à te voir.
Je ne prétends recevoir
Que par la route canonique.
Le Jésuite
Belle Agathe, sur moi tu connais ton pouvoir ;
Je ne te ferai point d’injure ;
Si parfois au collège, à nos jeunes garçons
Nous donnons de telles leçons,
C’est pour soulager la nature.
Soulève-toi, ma soeur.
Suis-je bien ?
Soeur Agathe
Pousse, avec vigueur…
Pousse, ami ; ne crains point d’ébranler ta monture.
Le Jésuite
Comme tu l’as gobé ! pour prix de ton ardeur,
Reçois ce trait de feu.
Soeur Agathe
Quelle flamme subtile
Dans mon coeur embrasé distille…
Ne finiras-tu point… je n’y saurais tenir…
Je vais expirer de plaisir.
Marton (tirant le jésuite par sa robe)
Allons donc, libertin, rendez-moi mon amie ;
Athlètes, suspendez vos coups ;
J’apporte des gâteaux pour Clitandre et pour vous ;
Ce vin rallumera votre flamme amortie.
Buvons ! à Bacchus, à l’Amour,
Rendons hommage tour à tour !
(ils mangent et boivent. Pendant ce temps, Agathe et Clitandre s’éclipsent)
Auteur anonyme
les Plaisirs du cloître / in le Théâtre érotique au XVIII° siècle
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