Archive mensuelle de mars 2009

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Textes contemporains de la conférence au Vieux-Colombier / Antonin Artaud

LE CONSEIL DE LA PAIX, les journaux, la radio, la circulation,
tout ça n’est qu’une façade,
il y a des livres, des systèmes, des pièces, des poèmes, des philosophies,
les choses sont ça et pas ça,
voilà ce que l’on remarque dans ça,
les grands noms passent,
mais celui qui avait quelque chose à dire comme Nietzsche l’a bramé,
il n’a pas construit un système,
c’est beau de dire il y a ça et ça, et puis après ça ne dépasse pas le papier imprimé
les choses ne sont ni ça ni ça, elles ne sont ni ça ni pas ça,
et la merde,
et boucle-moi ça.
Je ne veux plus savoir ce qui est ou n’est pas.
Je veux vivre.
C’est tout.
Car pendant que cette mascarade a lieu,
poème, système, discours, etc.,
là par-dessous la conscience travaille,
elle avance,
et ceux qui la mènent ne pensent pas,
ils trouent,
ils font plus que d’évider un système,
de dévider des aperçus,
de lever des propositeux, des noteux, de délabyrinther des pseu, pseu,
peut ou peut être pute pute,
de faire avancer des i de eux
universaux ou principaux
comme on noue de petits rideaux,
ils ne se livrent pas au cérébreux
comme Kant ou con Spinozeux,
ils n’entrent pas dans le menteux,
ils ne croient pas qu’il y ait un menteux où tout se réfère et se liquide,
ils ne croient pas que les choses soient un vide traversé d’idées animeuses,
comme on dit esprits animaux quand l’esprit décafalte ses boeufs,
se sépare en 3000 bestieux,

ils ne croient pas que l’intelligible soit un monde ou un zoo
et qu’il y ait un intelligibleux,
ils ne se soulèvent pas de leur corps
pour entrer dans la conscience,
ils ne s’élèvent pas en esprit au-dessus de ce monde affreux,
sachant qu’ils y perdraient le meilleur d’eux-mêmes,
leur corps,
qui n’est pas où l’esprit se meut,
et qu’est-ce que l’esprit sans le corps ?
De la lavette de foutre mort.

VOUS VOUS CROYEZ SEUL
ce n’est  pas vrai
vous êtes une multitude
vous vous croyez votre corps
il est un autre,
vous vous croyez le maître de votre corps
non
il appartient à d’autres,
à un autre,
à l’autre,
cet autre,
qui était la tarentule de Platon,
Platon, ce sinistre peaussier d’étrons,
sinistre, sinistre peaussier, tanneur,
râpeur, sarcleur,
limeur, lipeur,
laupeur, manque à gagner,
manque à payer, à souffrir et à expier,
(c’est ainsi que les peaussiers travaillent, comme d’ailleurs tous les métiers)
lapeur,
étrons, résidus formels d’excréments
qui veut dire que Platon, comme bien d’autres, mais plus que d’autres, a travaillé sur des résidus et sur des restes, un vieux vestiaire juif, une solennelle et gothique jade (…) chrétienne, etc., etc.

ET MAINTENANT JE VAIS DIRE UNE CHOSE qui va peut-être stupéfier bien des gens.
Je suis l’ennemi
du théâtre.
Je l’ai toujours été.
Autant j’aime le théâtre
autant je suis, pour cette raison-là, son ennemi.

Le théâtre est un débordement passionnel,
un épouvantable transfert
de forces
du corps
au corps.
Ce transfert ne peut pas se reproduire deux fois.
Rien de plus impie que le système des Balinais qui consiste après avoir une fois produit ce transfert
au lieu d’en rechercher un autre
de recourir à un système d’envoûtements particuliers
afin de priver
la photographie astrale
des gestes obtenus.

ÇA VEUT DIRE QUE LE CERVEAU DOIT TOMBER
l’homme que nous sommes
n’a pas été fait pour vivre avec un cerveau,
et ses organes collatéraux :
moelles, coeur,
poumons, foie, rate,
reins, sexe et estomac,
il n’a pas été fait pour vivre avec une circulation sanguine
une digestion, une assimilation des glandes,
il n’a pas été fait non plus pour vivre avec les nerfs d’une sensibilité et d’une vitalité limitées,
quand sa sensibilité et sa vie
sont sans fin
et sans fond,
comme la vie,
à vie
et pour la perpétuité.

L’homme que nous sommes ne ressemble à rien qu’à un singe,
dont nous sommes sortis et qui l’a fait à son image de masturbateur et de châtré,
quand il y en a d’autres
que le sans-image
n’a pas fini
d’imaginer
n’aura jamais fini
d’imaginer.

Car il est trop vrai, hélas, que nous avons été créé,
quand nous étions tous de l’incréé ç qui il fallait foutre la paix
et qui se serait fort bien passés d’exister
quand il vivait.

Où étions-nous
en Orient
dans un orient qui était peut-être le sud infernal des choses,
lorsque Dieu nous a dérangés
pour nous créer
alors que nous étions tous athées.
Et Dieu on n’en avait jamais entendu parler
et ce fut la bataille
qui n’est pas encore achevée
entre l’homme
(car il y a ce qui fut fait avec mon corps inerte
ignorant, vivant
inconscient
et ce qui fut fait avec les résidus chassés de mon corps après utilisation)
et, j’allais dire la divinité,
mais non,
mais : tout ce qui n’y est pas arrivé,
toutes ces demi-portions corporelles, qui jusqu’à l’homme ne sont pas arrivées,
qui ne sont jamais parvenues à se faire un corps d’homme entier
et ont voulu vivre
en essaims mutilés,
toutes ces larves de corps tronqués qui se sont un certain jour
installées en êtres de pure essence
n’ayant jamais pu être des hommes
en entier
oui, tout cela qui s’est classé dieu
et en dieu
comme si dieu avait jamais existé.

Et c’est cela qui nous a toujours emmerdés,
cela
qui ne put jamais être un corps
qui fut trop lâche pour être un corps,
et qui s’est intitulé âme,
étant trop lâche pour aller jusqu’au corps,
c’est cela cet évadé du squelette humain,
cet évadé de la carcasse humaine,
qui un jour s’est évanoui en fusée,
qui a fusé dans un prétendu empyrée
pour y constituer la divinité,
cela,
cette barbaque d’une nausée du néant,
des expulsés du néant,
qui n’a jamais pu faire un livre
et qui a prétendu les avoir tous inspirés.

J’AI REMARQUÉ UNE CHOSE
bizarre, anormale,
étrange,
que nul n’aura voulu
et ne veut s’avouer
car il y a des mots d’ordre,
d’infranchissables barrières,
et des sortes d’essentiels interdits :
nous sommes une vie de pantins menés,
et ceux qui nous mènent et tiennent les ficelles du sale guignol tablent avant tout, je dis AVANT tout sur l’amour-propre invétéré d’un chacun
qui fait que pour rien au monde cet un chacun ne voudrait
ne pas se croire libre,
et avouer, et reconnaître honnêtement et sincèrement qu’il ne l’est pas.
Nous sommes un monde d’automates sans conscience, ni libertés,
nous sommes des inconscients organiques greffés sur corps, nous sommes des corps greffés sur rien,
une espèce de rien sans mesure et sans bord, et qui n’a pas de milieu ou d’axe,
ou serait-ce l’axe dans le rien, et qu’est-ce qui serait le milieu du rien (et de quoi rien serait le milieu) ? et comment rien formerait-il centre, quand il n’y a pas d’invariable milieu,
quand l’invariable milieu est un leurre
qui désarticule la réalité.
Antonin Artaud
Extraits des Cahiers / 1946
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Face à un pouvoir toujours plus absurde, nous ne dirons plus rien / Lettre des inculpés de Tarnac

Voilà quatre mois que le feuilleton médiatico-judiciaire intitulé « l’affaire de Tarnac » ne cesse de ne plus vouloir finir. Julien (Coupat) va-t-il sortir à Noël ? Pour le Nouvel An ? Aura-t-il plus de chance vendredi 13 ? Non, finalement on le gardera encore un peu en prison, enfermé dans son nouveau rôle de chef d’une cellule invisible. Puisqu’il semble que quelques personnes aient encore intérêt à faire perdurer cette mascarade, même au-delà du grotesque, il va nous falloir endosser, encore une fois, le rôle que l’on nous a taillé (« les 9 de Tarnac »), pour un nécessaire éclaircissement collectif. Alors voilà.
Primo. Pendant que des journalistes fouillaient jusque dans nos poubelles, les flics reluquaient jusqu’à l’intérieur de nos rectums. C’est assez désagréable. Depuis des mois vous ouvrez notre courrier, vous écoutez nos téléphones, vous traquez nos amis, vous filmez nos maisons. Vous jouissez de ces moyens. Nous, les neuf, nous les subissons, comme tant d’autres. Atomisés par vos procédures, neuf fois un, alors que vous, vous êtes toute une administration, toute une police et toute la logique d’un monde. Au point où nous en sommes, les dés sont un peu pipés, le bûcher déjà dressé. Aussi, qu’on ne nous demande pas d’être beaux joueurs.
Deuzio. Bien sûr vous avez besoin « d’individus », constitués en « cellule », appartenant à une « mouvance » d’une fraction de l’échiquier politique. Vous en avez besoin, car c’est votre seule et dernière prise sur toute une part grandissante du monde, irréductible à la société que vous prétendez défendre. Vous avez raison, il se passe quelque chose en France, mais ce n’est certainement pas la renaissance d’une « ultragauche ». Nous ne sommes ici que des figures, qu’une cristallisation somme toute plutôt vulgaire d’un conflit qui traverse notre époque. La pointe médiatico-policière d’un affrontement sans merci que mène un ordre qui s’effondre contre tout ce qui prétend pouvoir lui survivre. Il va sans dire qu’à la vue de ce qui se passe en Guadeloupe, en Martinique, dans les banlieues et les universités, chez les vignerons, les pêcheurs, les cheminots et les sans-papiers, il vous faudra bientôt plus de juges que de profs pour contenir tout ça. Vous n’y comprenez rien. Et ne comptez pas sur les fins limiers de la DCRI pour vous expliquer.
Tertio. Nous constatons qu’il y a plus de joie dans nos amitiés et nos « associations de malfaiteurs » que dans vos bureaux et vos tribunaux.
Quarto. S’il semble aller de soi pour vous que le sérieux de votre emploi vous amène jusqu’à nous questionner sur nos pensées politiques et sur nos amitiés, nous ne nous sentons pas, quant à nous, le devoir de vous en parler. Aucune vie ne sera jamais absolument transparente aux yeux de l’Etat et de sa justice. Là où vous avez voulu y voir plus clair, il semble plutôt que vous ayez propagé l’opacité. Et l’on nous dit que, désormais, pour ne pas subir votre regard, ils sont toujours plus nombreux ceux qui se rendent à des manifestations sans téléphone portable, qui cryptent les textes qu’ils écrivent, qui font d’habiles détours en rentrant chez eux.
Comme on dit :  c’est ballot.
Quinto. Depuis le début de cette « affaire », vous avez semblé vouloir accorder beaucoup d’importance au témoignage d’un mythomane, aussi appelé « sous X ». Vous vous obstinez, c’est courageux, à accorder un peu de foi à ce ramassis de mensonges, et à cette pratique qui a fait l’honneur de la France il y a quelques décennies – la délation. C’en serait presque touchant, si ça ne conditionnait pas l’accusation de chef à l’encontre de Julien, et donc son maintien en détention. Si ce genre de « témoignage » ne justifiait pas des arrestations arbitraires – à l’occasion, par exemple, de quelques balles envoyées par la Poste, ou sur la police, dans l’Hérault, ou à Villiers-le-bel.
Enfin, étant entendu que la marge de liberté qu’il nous reste est désormais fort réduite, que le seul point à partir duquel nous pouvons nous soustraire à votre emprise réside dans les interrogatoires auxquels vous nous soumettez à intervalles réguliers. Que Julien s’est déjà vu refuser quatre demandes de remise en liberté. Qu’il est notre ami. Qu’il n’est rien de plus que ce que nous sommes. Nous décidons qu’à partir de ce jour, dans l’héroïque tradition d’un Bartleby, « nous préférerons ne pas ». En gros, nous ne vous dirons plus rien et cela jusqu’à ce que vous le libériez, jusqu’à ce que vous abandonniez la qualification de chef pour lui et de terrorisme pour nous tous. En résumé, jusqu’à ce que vous abandonniez les poursuites.
Pour tous ceux qui, là où ils sont, se battent et ne se résignent pas. Pour tous ceux que le ressentiment n’étouffe pas et qui font de la joie une question d’offensive. Pour nos amis, nos enfants, nos frères et nos soeurs, les comités de soutien. Pas de peur, pas d’apitoiement. Pas de héros, pas de martyrs. C’est précisément parce que cette affaire n’a jamais été juridique qu’il faut transporter le conflit sur le terrain du politique. Ce que la multiplication des attaques d’un pouvoir toujours plus absurde appelle de notre part, ce n’est rien d’autre que la généralisation de pratiques collectives d’autodéfense partout où cela devient nécessaire.
Il n’y a pas neuf personnes à sauver mais un ordre à faire tomber.
Aria, Benjamin, Bertrand, Elsa, Gabrielle, Manon, Matthieu, Yldune
sont, avec Julien Coupat, mis en examen dans « l’affaire de Tarnac »
Article publié dans le Monde / 17 mars 2009
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Bas de gamme (un vertige de la merde) / Roland Topor

http://www.dailymotion.com/video/k1U0Ku1pnbaK6S36MQ

Et si le grand public avait vraiment un goût de chiotte ?

Roland Topor / 1938-1997

Comment va le monde monsieur ?
Il tourne monsieur.
Et si le grand public avait vraiment un goût de chiotte ?
S’il aimait réellement la merde ?
Exposée aussi crûment l’hypothèse n’a rien pour plaire.
Elle paraît émise par quelqu’un qui se croit supérieur à la masse de ses contemporains, qui s’imagine peut-être appartenir à une élite détentrice de vérités.
Il n’en est rien.
Je me connais bien, et je peux vous assurer que j’ai conscience de ma petite taille, de la banalité de mon destin, et que je ne fais partie d’aucune élite, ni d’aucun parti d’ailleurs.
Non. Je ne suis qu’une unité de ce Grand Tout qu’est le Grand Public.
J’en parle de l’intérieur, avec franchise et je l’espère, avec humilité.
Nous, le Grand Public, si nous mangeons plus souvent du surgelé que de la nouvelle cuisine, des frites que des truffes, si nous portons des sous-vêtements synthétiques plus fréquemment que de la soie naturelle, si nous avalons plus de litres de bibines que de vins millésimés, c’est à cause du prix bien sûr.
Les pauvres sont infiniment plus nombreux que les riches, c’est pour cela qu’ils constituent une mine de profits potentiels quasi inépuisable.
Puisque nous mangeons, nous buvons, nous nous habillons comme nous pouvons, en fonction de l’argent dont on dispose, en jonglant avec nos désirs et nos nécessités, on a créé spécialement à notre intention des produits particuliers, de médiocre qualité mais meilleur marché, très diversifiés, présentés dans des emballages séduisants, jeunes, modernes, branchés, en couleurs, avec des belles filles dessus et des cadeaux en prime.
Bon. Ça, c’est compréhensible.
Mais quelles que soient leurs valeurs, les disques, les tickets de cinéma ou de théâtre ou les reproductions, les posters, les livres, les journaux, les magazines, les émissions de télé, n’ont pas un prix en rapport avec leur qualité.
Et pourtant, devinez où se porte toujours le choix du Grand Public ?
Vers la merde ? Vous avez gagné.
Car voilà l’horrible soupçon qui a germé dans ma cervelle.
Nous, le Grand Public,
à force de manger Bas-de-Gamme,
de boire Bas-de-Gamme,
d’acheter Bas-de-Gamme,
nous pensons Bas-de-Gamme,
nous aimons Bas-de-Gamme,
nous rêvons Bas-de-Gamme,
… à cause de la merde voyez-vous.
C’est une odeur à laquelle nous sommes tellement habitués, que nous avons fini par nous identifier à elle, elle est notre marque de famille et nous sert de signe de reconnaissance.
Voilà pourquoi le Bas-de-Gamme règne sur tous les hit-parades, voilà pourquoi il triomphe dans tous les sondages et gagne toutes les élections, voilà pourquoi il modèlera l’avenir radieux du monde, plus qu’une banale source de profit, le Bas-de-Gamme représente un ajustement permanent au pire, c’est un vertige de la merde, un style.

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