A l’intérieur comme à l’extérieur d’Israël, ce qu’on sait, ce qui se dit, et ce que semblent penser les gens, ne vient que des médias officiels. Les autres voix sont inaudibles. La situation est ici très difficile mais malgré tout il y a des protestations un peu partout. Des exemples ? La veille de l’intervention militaire, il y a eu à Tel-Aviv, entre autres, une manifestation contre le siège de Gaza. Le 27 décembre, jour de l’offensive, une centaine de personnes ont spontanément défilé dans les rues de Jaffa. Le même jour, à Jérusalem-Est, des jeunes se sont affrontés aux militaires israéliens et, à Tel- Aviv, des manifestants ont bloqué le centre-ville en criant « l’occupation, c’est ça le terrorisme ! » Le 28 décembre à Ni’ilin, à côté de Ramallah, les forces israéliennes ont tiré contre un cortège et tué deux jeunes Palestiniens. Deux jours plus tard, alors que la police chargeait contre les funérailles d’une des victimes, des centaines d’étudiants rassemblés sur les campus d’Haïfa, Jérusalem et Tel-Aviv se battaient contre la police et des contre-manifestants. À Tel-Aviv, des opposants à la guerre encerclaient l’ambassade d’Égypte pour protester contre le silence du gouvernement et sa collaboration avec l’offensive israélienne. Et à Sderot, cette ville présentée comme la cible principale des roquettes du Hamas, un important mouvement rassemble la gauche radicale non sioniste, les divers groupes et organisations de la Coalition des organisations de paix, la gauche sioniste contre la guerre et des personnes indépendantes. Jamais on n’entend parler de cela. Par contre,dans les manifestations, on se fait taxer de « traîtres », de « complices des terroristes ». La majorité des gens dit que « pendant la guerre, il ne faut pas faire de critique ». On peut en parler après. Toujours après…
Ces mouvements de protestation rassemblent beaucoup de monde ?
Tout est fait pour donner l’impression que tout le monde soutient l’agression. La vie à Tel-Aviv, où je réside, est quasiment normale. Cette guerre est présentée comme une guerre régionale, ce n’est pas le pays entier qui est en guerre.
Tu veux dire que la population est indifférente ?
Dans l’ensemble, les Israéliens souhaitaient que l’armée attaque Gaza. Même si personne ne croit que cela va arranger la situation. En fait c’est un acte de vengeance. Il n’y a aucun enjeu militaire. Détruire les missiles Kassam tirés depuis Gaza est impossible. Il faudrait envahir totalement la bande et tout le monde craint en Israël de perdre un seul de nos soldats. Ce qui est sûr, c’est que, comme toutes les actions de force, cette guerre ne va servir en rien à protéger Israël. Elle va créer de la souffrance et de nouvelles destructions des deux côtés.
Tu dis qu’il ne s’agit pas d’une guerre ?
Dans les médias, on dévoile très rarement le nombre de morts du côté israélien, afin d’étayer la thèse du caractère symétrique du conflit. Quand on en parle, c’est pour gagner des élections. En 2008, il y a eu trente-six Israéliens tués, des ouvriers d’origine ashkénaze, des travailleurs thaïlandais, des Palestiniens de 48, tous issus d’un niveau social très bas et dont on ne parle jamais sinon pour renforcer la haine. Sans oublier les victimes beaucoup plus nombreuses de la criminalité organisée… Ce n’est pas une guerre entre deux États. Gaza n’est pas un État. Ce n’est pas un conflit symétrique. Il y a d’un côté un État et de l’autre un territoire occupé. La disproportion entre les équipements militaires est effarante : d’un côté une armée moderne suréquipée et de l’autre des combattants disposant d’une capacité de riposte ou d’attaque sans commune mesure. Leur tactique correspond à leur situation.
Les autorités israéliennes veulent-elles véritablement supprimer le Hamas ?
C’est très trouble. D’abord, ce n’est pas le Hamas qui contrôle vraiment Gaza. C’est Israël qui y impose sa volonté. Il ne faut pas oublier que le Hamas, mouvement d’abord nationaliste avant que religieux, est née d’une alternative au Fatah. N’oublions pas que la grande majorité des électeurs du Hamas sont des laïques nationalistes. Et puis, c’est Israël qui a aidé à la constitution du Hamas et surtout favorisé le courant islamiste. Dans les années 80, Shamir, alors Premier ministre, a financé Sheikh Yassin, chef religieux du Hamas, afin de casser l’OLP et le nationalisme. En fait, le projet reste le même. Plus la guerre durera plus le mouvement va devenir extrême et fondamentaliste. Tous les griefs se superposeront pour aggraver encore la situation. A croire que l’État d’Israël crée les ennemis qu’il aimerait avoir : des générations de religieux fondamentalistes.
Quelles vont être, selon toi, les conséquences de cette nouvelle agression ?
Je t’ai parlé de ce que cela risque de provoquer pour les Palestiniens. Ce pourquoi l’État d’Israël se frotte les mains. Ici, cette agression va continuer à détruire la société israélienne, qui devient de plus en plus indifférente à la souffrance et à la mort. Mais il y a un aspect véritablement schizophrénique : d’un côté on entend parler de paix, de pureté, et d’un autre ce ne sont qu’applaudissements à la violence. Et puis nos critiques sur ce qui se passe ici donnent parfois l’impression de nourrir cette schizophrénie. On avance des arguments, des idées, des aspirations, et en face les réponses favorisent encore plus la fermeture et la violence… Quant aux autres pays, ce qu’on appelle la « communauté internationale », on peut voir qu’il n’y a aucune réaction. Il y a deux ans, lors de l’attaque contre le Hezbollah, il y avait eu quelques protestations. Les arguments d’Israël semblent avoir gagné. Pourquoi ? Peut-être que ne rien dire contre le bombardement de populations civiles ici excuse le fait de faire pareil ailleurs, en Irak ou en Afghanistan…
Gaï Davidi est militant du collectif israélo-palestinien Anarchists against the Wall.
Article publié dans CQFD / 3 janvier 2009
Voir aussi Alternative libertaire et Courant Alternatif
Résister en Israël : merci les anars
Jeudi 15/01, 7 h 39. La rédaction de Siné Hebdo m’avait demandé un article traitant des différences entre Hamas et Hezbollah. Après le massacre d’aujourd’hui, je ne m’en sens pas capable. En une journée, 73 personnes ont perdu la vie à Gaza. En une journée, 24 enfants ont été privés de leur adolescence, par un État, mon État, qui assassine avec préméditation. Amis lecteurs, aujourd’hui on se tait. Dès demain, on se remet au travail. A l’ordre du jour : préparation d’un tribunal international pour les bouchers du ghetto de Gaza. Dimanche 18/01, 15 h 44. Hier soir, nous étions environ 3 000 à défiler dans les rues de Jaffa. Nettement moins qu’il y a 15 jours, mais c’était de loin la manifestation la plus combative et déterminée depuis des années. Chacun a son point de rupture, et je pensais avoir atteint le mien avec le carnage de jeudi (depuis trois semaines, notre vocabulaire peine à rendre compte des divers paliers de l’horreur). J’avais annoncé aux camarades de la coalition antiguerre que je ne viendrais pas, et leur avais demandé de me libérer de mes responsabilités organisationnelles. Je suis rentré chez moi pour dormir et ne plus recevoir de messages m’annonçant une nouvelle saloperie, ni voir, même de loin, des cadavres d’enfants calcinés. Mais à 60 ans, on ne se refait pas. Je me suis quand même rendu à la manifestation de Jaffa. Je ne le regrette pas, grâce à mes jeunes copains des Anarchistes contre le Mur. Je savais qu’eux seuls pouvaient exprimer ma volonté de dire à tous les criminels, mais aussi à tous ceux qui se taisent, ou encore à ceux qui pleurent des larmes de crocodile sur « les morts des deux côtés » et qui accusent le Hamas d’en avoir fait trop ou pas assez : « On vous hait, on n’a rien, mais rien, à voir avec vous. » Entouré de ces jeunes tatoués habillés de noir, je faisais vraiment grand-père, et leur façon de manifester, leurs slogans merveilleusement rimés et provocateurs me sont étrangers. Cela faisait pourtant longtemps que je ne m’étais pas senti aussi bien dans une manif. Pas besoin d’être « politiquement correct » ni de choisir les mots qui ne fâchent pas, susceptibles de convaincre les hésitants. Exprimer au contraire, haut et fort, ce qu’on a au fond du ventre : la rage. Qui, ailleurs qu’ici, a déjà entendu des anars manifester leur solidarité en criant tout au long du parcours, et sans état d’âme, Allah Hou Akbar ? Les anars sont les seuls à ne pas être récupérables. Les flics de l’Anti-émeute ne s’y sont pas trompés qui, par douzaines, entouraient notre bloc avec l’envie manifeste d’en découdre, sans parler des quatre agents provocateurs déguisés en Palestiniens masqués, et que j’ai rapidement repérés et fait éjecter. Et puis, au moment de la dispersion, la chaleureuse poignée de main de Jonathan, un des meneurs ; comme on les appelle : « Merci Mikado, c’est vraiment chic de ta part d’avoir manifesté avec nous. » Tu as tout faux, Jonathan : merci à vous d’exister et de me donner l’envie de continuer.
Michel Warschawski
Article publié dans Siné Hebdo / 21 janvier 2009