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Archive journalière du 10 fév 2009

la Bande à Bonnot / Benoît Ladarre

Pourquoi cette minorité qui possède est-elle plus forte que la majorité qui est dépossédée ? Parce que cette majorité du peuple est ignorante et sans énergie ; elle supporte tous les caprices des possédants en baissant les épaules. Ces gens sont trop lâches pour se révolter et, bien mieux, si parmi eux il y en a qui sortent de leur troupeau, ils s’efforcent de les y empêcher ; soit exprès, soit par leur bêtise, mais ils sont aussi dangereux l’un que l’autre. Ils se réclament de l’honnêteté, mais sous leur marque se cache une hypocrisie et une lâcheté qui n’est pas discutable.
Que l’on me montre un honnête homme !
C’est pour toutes ces choses que je me suis révolté, c’est parce que je ne voulais pas vivre la vie de la société actuelle et que je ne voulais pas attendre que je sois mort pour vivre, que je me suis défendu contre les oppresseurs par toutes sortes de moyens à ma disposition.
Ils ont trouvé Bonnot ! Valet me l’a annoncé ce matin.
Bonnot s’est planqué au Nid-Rouge chez Dubois, le garagiste de Choisy-le-Roi. Il a commis l’imprudence de rentrer dans une pharmacie pour se faire soigner la main et le pharmacien a aussitôt donné son signalement. Une tripotée d’inspecteurs a déboulé et Dubois s’est fait descendre, en sortant son flingue, m’a raconté Valet. Puis ils ont vu un gars armé dans l’escalier qui a riposté. Le gars, c’était Bonnot ! Depuis, les roussins se sont mis à l’abri, et Jules s’est planqué à l’étage. Ils cernent le garage depuis deux heures. Des renforts doivent arriver !
On s’y est rendus. Casquettes vissées sur la caboche, on est allés faire nos adieux à Jules Bonnot. Le garage est perdu au milieu d’un champ, isolé des maisons voisines, ce qui permet aux flics de l’encercler en rendant toute fuite impossible. On a repéré le toit à briques rouges au loin et y avait déjà une foule grouillante qui encerclait la bâtisse. On n’était pas les premiers.
Le siège s’est poursuivi longtemps après notre arrivée. Aux centaines de roussins qui braquaient leurs fusils et leurs revolvers sur toutes les lucarnes de la turne99, se sont joints deux compagnies de la garde républicaine, des pompiers et un régiment entier d’artillerie dépêché spécialement de Vincennes. Cinq mille inspecteurs, gendarmes ou gardes mobiles contre Bonnot. Le préfet Lépine dirige les opérations à bonne distance au son du clairon. Ils lui font les honneurs, les bougres ! Tous ces flicards pour un seul homme !
Avec Valet, cachés sous nos viscopes, on évolue parmi la foule qui s’est réunie autour du garage tout en restant hors de portée des tirs. De Thiais à Alfortville, et de toute la banlieue, des masses de spectateurs fébriles ont débarqué à Choisy pour assister à la fin d’un homme. Trente mille personnes, traversées par la même effervescence, s’égayent au spectacle de cette mise à mort extravagante. Comme s’ils étaient au théâtre, les salauds. Jules Bonnot, le chef de la bande avec laquelle on a terrorisé la France entière durant plusieurs mois, vit ses dernières heures de criminel. Et la populace laissera bientôt éclater sa joie à la vue de sa dépouille sanguinolente.
La foule vile, la foule immonde. Elle ne nous pardonne pas de nous être révoltés contre sa médiocrité. D’avoir pris les armes pour nous enrichir sur le dos des bourgeois. D’avoir volé, triché, tué pour des bleuets au lieu de suer sang et eau comme un brave travailleur pour gagner quelques miettes de larton. Pourquoi ne nous sommes nous pas contentés de leur sort misérable ? Elle ne pige pas, la foule. Par l’exécution de Bonnot, elle se venge du mépris qu’on lui voue profondément. Elle ne nous le pardonne pas, ce mépris qu’elle nourrit pour elle-même en secret. Elle pense que notre mort la rachètera ou lui dissimulera à nouveau son abjecte condition. Par ce rassemblement joyeux, la foule affirme sa solidarité de troupeau. Trente mille pleutres fêtent leur appartenance à un monde d’esclaves satisfaits. On est venus rendre un dernier hommage à notre ami et il faut subir stoïquement les bribes de conversations qui nous tombent dessus, qui nous assaillent de tous côtés.
– Je me demande combien ils y sont là-dedans!
– Ils ont eu Dubois, le garagiste. Ils l’ont moucheté vite fait, cette racaille ! Un de moins, c’est toujours ça de pris !
– De toute façon, faut pas qu’ils s’en sortent vivants…
– T’inquiète pas ! Ils sortiront avec les honneurs, décorés par de jolis petits trous dans le veston !, raille un fumeur de pipe. Hé ! Vous pourriez faire attention !
Valet vient de lui écrabouiller le pied et j’ai dû le retenir pour qu’il ne lui écrase pas le poing sur le blair. Ce n’est pas l’envie qui me manque de lui mettre un gnon, moi aussi, mais il ne faut pas se faire repérer.
L’esprit est à la fête et à la vengeance. Les gens discutaillent, échangent leurs versions de l’histoire, ils ricanent à propos de Bonnot et se gargarisent de leur victoire certaine. C’est fraternel, c’est gai, c’est débecquetant. Le dégoût de l’humanité s’était emparé de nous, et on baisse la tête avec Valet, au milieu de la multitude des pourceaux, pour ne plus voir leurs ardents qui s’illuminent à l’idée de nous voir tous crever.
– Il est là ! Il est là !, crie un exalté, et on aperçoit Bonnot à la lanterne qui tient toujours le siège, seul. Seul contre des milliers.
Un coup de feu. L’échange de tirs a repris et la foule recule et se tait.
– Tas de salauds !, lance Bonnot, avant de les arroser avec sa carabine.
Et les crétins de flics tirent, eux aussi, mais ils ont beau tirer, ils ratent tous la cible ! Si seulement je pouvais être à ses côtés, on leur donnerait une bonne leçon. Mais cette fois Jules est désespérément seul.
Voilà qu’un régiment de zouaves se met de la partie. Jules !
Ces crétins te font les honneurs comme personne ! Ils ont ramené une mitrailleuse Hotchkiss. Tu n’es plus un homme, tu es une armée à toi tout seul, mon poteau !
– Alors il n’a toujours pas son compte ? Meurtriers !
– Regardez, le maire de Choisy et le préfet Lépine qui commandent les opérations !
On s’approche du coin des gradés. Et si je butais Lépine pour l’amusement public ? Ca me détendrait. Regardez-moi ce roi des roussins avec son chapeau melon et sa barbiche ridicule.
Ça ne serait pas si compliqué, il est à quelques pas.
– Il faut en finir, s’exclame Chapeau melon.
– Faites tout sauter à la dynamite !, propose un paysan.
Lépine l’a pris au mot.
Ils ont récupéré une charrette qu’ils ont bourrée de paille. Un flic s’est désigné pour être héros. Il se planque derrière le convoi, à couvert, pendant que le cheval s’approche de la bâtisse à reculons.
Que fout Jules ? Pourquoi ne canarde-t-il pas ? Peut-être qu’il aime les canassons ! Ça y est, ils sont au pied du mur.
Des bourgeoises arrivent en limousine pour assister, elles aussi, à la représentation. Elles sortent de l’auto et se pâment à la vue du garage criblé de balles en poussant des grands cris d’effroi. Je connais une autre méthode simple et efficace pour leur filer des frissons à ces pétasses. Si elles ne me faisaient pas autant gerber !
– Regardez, ils dynamitent la maison !
Je me raidis, et c’est au tour de Valet de m’attraper le bras avant que je n’assomme mon voisin qui sourit benoîtement.
Le flicard planqué derrière la charrette lance son bâton de dynamite. Et ça explose sans résultat !
– Tas de salauds !, hurle encore Bonnot qui s’est enfin réveillé.
Le flic recommence. Deux fois, trois fois, et la charge a finalement raison du bâtiment. Le mur s’écroule et Lépine ordonne l’assaut.
– Bonnot s’est réfugié entre des matelas repliés !, entend-on crier près du garage, et on se transmet l’info de Choisy à Paname. Des coups de feu… Ça crie de nouveau : Ils l’ont eu ! Ils l’ont eu !
Salauds.
Benoît Ladarre
la Bande à Bonnot, mémoires imaginaires de Garnier / 2008

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