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Lettre ouverte au Président : réforme de l’hospitalisation en psychiatrie / Michaël Guyader

Lettre ouverte à Monsieur le Président de la République à propos de son discours du 2 décembre 2008 à l’hôpital Erasme d’Antony concernant une réforme de l’hospitalisation en psychiatrie.
Etampes, le 8 décembre 2008
Monsieur le Président,
Eluard écrit dans Souvenirs de la maison des fous « ma souffrance est souillée ».
Après le meurtre de Grenoble, votre impatience à répondre dans l’instant à l’aspiration au pire, qu’il vaudrait mieux laisser dormir en chacun d’entre nous, et que vous avez semble t-il tant de difficulté à contenir, vous a amené dans votre discours du 2 décembre à l’hôpital Erasme d’Antony à souiller la souffrance de nos patients.
Erasme, l’auteur de l’Eloge de la Folie eût pu mieux vous inspirer, vous qui en un discours avez montré votre intention d’en finir avec plus d’un demi siècle de lutte contre le mauvais sort fait à la folie : l’enfermement derrière les hauts murs, lui appliquant les traitements les plus dégradants, leur extermination en premier, quand la barbarie prétendit purifier la race, la stigmatisation au quotidien du fait simplement d’être fou.
Vous avez à Antony insulté la mémoire des Bonnafé, Le Guillant, Lacan, Daumaison et tant d’autres, dont ma génération a hérité du travail magnifique, et qui ont fait de leur pratique, œuvre de libération des fécondités dont la folie est porteuse, œuvre de libération aussi de la pensée de tous, rendant à la population son honneur perdu à maltraiter les plus vulnérables d’entre nous. Lacan n’écrit-il pas « l’homme moderne est voué à la plus formidable galère sociale que nous recueillons quand elle vient à nous, c’est à cet être de néant que notre tâche quotidienne est d’ouvrir à nouveau la voie de son sens dans une fraternité discrète, à la mesure de laquelle nous sommes toujours trop inégaux ».
Et voilà qu’après un drame, certes, mais seulement un drame, vous proposez une fois encore le dérisoire panégérique de ceux que vous allez plus tard insulter leur demandant d’accomplir votre basse besogne, que les portes se referment sur les cohortes de patients.
De ce drame, vous faites une généralité, vous désignez ainsi nos patients comme dangereux, alors que tout le monde s’entend à dire qu’ils sont plus vulnérables que dangereux.
Mesurez-vous, Monsieur le Président, l’incalculable portée de vos propos qui va renforcer la stigmatisation des fous, remettre les soignants en position de gardiens et alarmer les braves gens habitant près du lieu de soin de la folie ?
Vous donnez consistance à toutes les craintes les moins rationnelles, qui désignant tel ou tel, l’assignent dans les lieux de réclusion.
Vous venez de finir d’ouvrir la boîte de Pandore et d’achever ce que vous avez commencé à l’occasion de votre réplique aux pêcheurs de Concarneau, de votre insulte au passant du salon de l’agriculture, avilissant votre fonction, vous déprenant ainsi du registre symbolique sans lequel le lien social ne peut que se dissoudre. Vous avez donc, Monsieur le Président, contribué à la destruction du lien social en désignant des malades à la vindicte, et ce, quelques soient les précautions oratoires dont vous affublez votre discours et dont le miel et l’excès masquent mal la violence qu’il tente de dissimuler.
Vous avez donc, sous l’apparence du discours d’ordre, contribué à créer un désordre majeur, portant ainsi atteinte à la cohésion nationale en désignant à ceux qui ne demandent que cela, des boucs émissaires, dont mes années de pratique m’ont montré que justement, ils ne pouvaient pas se défendre.
Face à votre violence, il ne reste, chacun à sa place, et particulièrement dans mon métier, qu’à résister autant que possible.
J’affirme ici mon ardente obligation à ne pas mettre en œuvre vos propositions dégradantes d’exclure du paysage social les plus vulnérables.
Il en va des lois comme des pensées, certaines ne sont pas respectables ; je ne respecterai donc pas celle dont vous nous annoncez la promulgation prochaine.
Veuillez agréer, Monsieur le Président, la très haute considération que je porte à votre fonction.
Docteur Michaël Guyader
Chef de service du 8ème secteur de Psychiatrie Générale de l’Essonne, psychanalyste / 2008
Ecouter Michaël Guyader
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30 Réponses à “Lettre ouverte au Président : réforme de l’hospitalisation en psychiatrie / Michaël Guyader”


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  • Merci d’avoir si bien écrit ce qui me tenait tant à coeur.

  • Docteur Anja Thomas

    Cher confrère,
    Je vous félicite de votre courage qui vous a permis d’exprimer ce que la plupart de la profession pense. Prise de nausée en lisant le discours d’Anthony, votre lettre m’a permis de pleurer toute l’angoisse que j’éprouve pour le sort de nos patients. Je suis à votre disposition si vous avez besoin de soutien. Si vous avez le temps, allez voir la pièce néerlandaise « Méfisto forever » qui est donnée en ce moment sur les grandes scènes françaises.
    Bien confraternellement!

  • Merci à vous et je voudrais que tous les psychiatres puissent le signer avec vous ou s’associer d’une manière ou d’une autre à cette désobéissance civile indispensable.

  • Résistance….
    « La résistance au fascisme, aux doctrines et aux pratiques de chasse à l’homme, et celle qui vise l’inhumanité des modes de connaissance et de pratiques dans laquelle cette société a prétendu régenter l’exclusion de la folie sont de même trempe. »
    Lucien Bonnafé

    Oui, notre époque a besoin de résistants à cette doctrine diffuse qui tente de modeler la société.
    Amplifions le réseau !

    Olivier LEJEUNE
    Infirmier
    Chef de service médico social

  • J’ai passé 40 années de ma vie à soigner des enfants des adolescents « fous » comme on dit… J’ai travaillé dans l’idée de Laborde, Gentis, Lacan, Tony Lainé, Dolto …

    J’ai appris à approcher la « folie » à l’entendre, à la décrypter… à ne pas en avoir peur :même devant de grands paranoiaques…

    Jamais je n’aurais cru devoir entendre à nouveau un discours comme celui de M. Sarkozy….

  • Dr Jean DARROT pédo-psy,ANNECY

    Merci et bravo, mais surtout continuez, s’il-vous-plaît, à appeler les collègues à entrer en résistance. Au delà des patients, figurants paradigmatiques désignés à l’opprobre, c’est le fascisme ordinaire qui désormais entre en action, quotidiennement et méthodiquement. Nous sommes nombreux à nous indigner mais pas forcément conscients de ce qui nous tombe dessus.

  • Je ne supporte plus cette façon de stigmatiser, rejetter, éliminer les coupables, les malades, les défavorisés, les infirmes, les fous. Je refuse que soient exclus du genre humain et donc de notre respect tous les faibles qui méritent notre compassion, notre aide, notre soutien. Au delà de la douleur des victimes, desquels on comprend les envies de vengeance, il est du devoir de la société, au travers, de la justice, de l’éducation, des médecins d’oeuvrer pour nos frères qui sont en souffrance, parfois sans le savoir…
    La dignité du genre humain passe par le respect de tous, favorisés, défavorisés, bien portants, malades, ceux qui n’ont pas la chance d’avoir un esprit sain.

  • Je viens de tomber sur votre lettre qui met sérieusement en avant le fonctionnement de M. Sarko : se saisir d’un fait de société sordide pour en édicter une généralité et « corriger » par une loi.
    Educateur de la justice, moi et mes collègues sommes frappés par les mêmes aberrations législatives : stigmatiser les populations les plus fragiles pour se désengager d’une prise en charge globale visant le plus possible l’intégration de tous dans notre société.
    Je serais curieux des suites que vous souhaitez donner à la lettre et des associations possibles pour rendre publique la « méthodologie législative » de notre président.

    Sébastien Chinsky

  • Merci beaucoup de ne pas participer au fatalisme et au désenchantement actuel.
    Cela redonne du courage.
    Il faut diffuser cette lettre le plus largement possible.

  • Monsieur, Merci encore pour votre prise de position courageuse. Il me semble qu’il faut édifier des ponts entre enseignants et praticiens (médecins et non médecins) de la psychiatrie. Partout ils veulent mettre en place des mécaniques, des comportements standardisés. Il n’y a plus de place pour la souffrance, pour l’émotion, pour la réflexion, pour la création, pour l’humanisme. Bon nombre de mes collègues font appel à vos confrères pour gérér les contradictions qui nous sont imposées. Nous souhaitons des actions de résistances communes de tous ceux qui ne peuvent avoir du fonctionnement humain une conception mécaniste. N’hésitez pas, si vous le souhaitez, à me contacter. Merci

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