Reprise de blog après cinq semaines de silence. Et, déjà, les emmerdes commencent. Sans qu’on sache tout à fait où en sont les choses, ce qui est décidé ni ce qui finira par l’être, il n’est pas impossible que ça finisse par chauffer velu dans le théâtre subventionné, car… Oui ou non, le ministère de la Culture s’est-il mis en tête, au fil de l’été, d’offrir sur un plateau d’argent la MC93 (Bobigny) à la Comédie Française ? Il semble bien que oui. Cette technique de pouvoir est connue: on laisse fuiter un projet en se disant qu’il sortira toujours quelque chose du vacarme que cette fuite ne manquera pas de provoquer. Et on le fait d’autant plus que le fonctionnement de notre système culturel, depuis quelques lustres déjà, mêle le clientélisme le plus archaïque au cynisme le plus tranquille. Alors voilà, dans un pareil système, où l’arrangement est la règle, et le principe, l’exception, tout peut s’imaginer, se faire et se penser.
Très peu de gens ont voulu comprendre ce que signifiait politiquement et symboliquement, l’an passé, la transformation de Chaillot, l’ancien théâtre de Jean Vilar et d’Antoine Vitez, en une sorte de maison de la Danse aux contours indécis. Je me suis fait haïr pour l’avoir écrit dans les colonnes de Télérama. Il s’agissait bel et bien, en touchant à un symbole, d’engager concrètement le détricotage du théâtre public au profit apparent de la danse, jugée par les pouvoirs plus docile. Mais il y a autre chose, qui est rigoureusement complémentaire de ce qui précède et qui concerne la politique culturelle telle que Christine Albanel la conduit, non sans talent ni patience. Il s’agit de la re-concentration ostensible des moyens alloués à la culture par l’Etat au profit, cette fois, des grandes institutions culturelles à forte visibilité sociale et médiatique, dont fait partie la Comédie Française. On voit la même politique s’appliquer pour les musées. Pourquoi cela ? D’abord parce que l’Etat a de sérieux et réels problèmes d’arbitrage à l’intérieur de la dépense culturelle ; ensuite parce qu’il n’est plus du tout intéressé par ce qu’on appelait autrefois le développement culturel ; enfin parce que – et je n’engage que moi en l’écrivant – les élites de ce pays (politiques, économiques, souvent médiatiques…), comme de la plupart des pays occidentaux, n’aiment plus l’art (quand il n’est pas soluble dans le divertissement), la culture (quand elle n’est pas industrielle) ni la pensée (quand elle persiste à revendiquer son autonomie).
Alors oui, peut-être que la MC93 reçoit davantage de Parisiens que d’habitants de Bobigny, peut-être que sa programmation est élitiste (pour reprendre le mot qui tue de nos jours), peut-être que le patron de la MC93, Patrick Sommier, n’est pas un homme sympathique, peut-être même que mille autres chose… Mais alors si tel est véritablement le cas, que les tutelles de ce théâtre s’adressent (Etat, ville, département, région) d’une même voix au patron de ce lieu pour lui demander des comptes. Qu’elles le remplacent si nécessaire. Mais enfin, c’est quoi cette histoire d’organiser à bon compte le développement d’une Comédie Française, déjà plus que richement dotée, au détriment d’autres institutions ? Un mot encore, on me dit que le département de Seine-Saint-Denis, tenu maintenant par les socialistes, n’est pas loin de penser la même chose que l’Etat, à propos de cette MC93. Le bel argument ! Les socialistes ont-ils encore de nos jours la moindre idée cohérente et émancipatrice – ou la moindre idée tout court – de quoi que ce soit ? Ce que raconte cette affaire est décidément un récit vraiment contemporain ; notre époque telle qu’elle est. Amis blogeurs, à vos claviers, la rentrée a commencé.
Daniel Conrod
Télérama / 3 octobre 2008
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